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Oleksii Makeiev : "La Russie est en guerre contre l'Occident et beaucoup ne le voient pas"

Oleksii Makeiev
Oleksii Makeiev Tous droits réservés  Anastasia Makeieva
Tous droits réservés Anastasia Makeieva
Par Johanna Urbancik
Publié le
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L'ambassadeur ukrainien en Allemagne, Oleksii Makeiev, s'entretient avec l'équipe d'euronews à Berlin sur le rôle que joue l'Ukraine dans la campagne électorale du Bundestag et le manque de courage en politique.

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La campagne électorale allemande bat son plein et des thèmes comme l'immigration dominent les débats et les médias. Pourtant, un sujet semble être passé un peu sous silence au cours des dernières semaines. La guerre d'agression de la Russie, contraire au droit international, fait toujours rage en Ukraine.

Chaque jour, on enregistre des attaques de drones et de missiles russes sur des villes de toute l'Ukraine, et les troupes russes progressent constamment dans l'est du pays. Depuis le début de cette invasion à grande échelle, l'Allemagne s'est fermement engagée aux côtés de l'Ukraine et a soutenu le pays avec une aide militaire, financière et humanitaire. Pourtant, la guerre d'agression de la Russie ne semble pas être un thème de campagne populaire.

Lors du premier duel télévisé entre le candidat SPD à la chancellerie Olaf Scholz et Friedrich Merz de la CDU/CSU, l'Ukraine n'a joué qu'un rôle secondaire. Le soutien allemand a certes été souligné, mais tous deux ont exclu l'adhésion du pays à l'OTAN pendant la guerre en cours.

Euronews a rencontré l'ambassadeur ukrainien en Allemagne, Oleksii Makeiev, à l'ambassade d'Ukraine à Berlin et lui a demandé si l'Allemagne était vraiment aux côtés de l'Ukraine - et pourquoi l'Ukraine devrait être un thème de campagne.

Euronews : Nous sommes maintenant à la veille du troisième anniversaire de la guerre d'agression russe, contraire en tout au droit international. Qu'a fait l'Allemagne au cours de ces trois années et soutient-elle vraiment l'Ukraine ?

Makeiev: Je suis ambassadeur en Allemagne depuis octobre 2022 et je dirais que l'Allemagne s'est dépassée au cours de ces années. Nous nous souvenons encore des 5000 casques (proposition de la ministre de la Défense à l'époque, Christine Lambrechts, de soutenir l'Ukraine avec une livraison de 5 000 casques de protection militaires - NDLR) et de l'énorme réticence parmi tous les partis politiques au début de la guerre.

Maintenant, pendant ces deux ans et demi, l'Allemagne est devenue notre deuxième plus important et notre deuxième plus grand soutien militaire. Dernièrement, mon président, Volodymyr Zelensky, a déclaré que 16 % de tout le soutien militaire à l'Ukraine provenait de l'Allemagne.

C'est aussi mon message depuis le début : chaque Allemand peut être fier de ce que le pays a fourni jusqu'à présent.

Parmi les partis démocratiques, un consensus s'est établi depuis longtemps selon lequel il est dans l'intérêt de l'Allemagne de nous soutenir, nous les Ukrainiens. A l'exception de quelques politiciens, presque tous affirment que l'Ukraine doit être mise en mesure de gagner cette guerre afin de parvenir à une paix juste.

Les derniers sondages ont montré que 67 % des Allemands (lien externe en Allemand) continuent de soutenir les livraisons d'armes et le soutien militaire. Cela montre que ce sujet est également un thème de campagne important pour les électeurs.

C'est aussi mon message depuis le début : chaque Allemand peut être fier de ce que son pays a livré à l'Ukraine jusqu'à aujourd'hui.
Oleksii Makeiev
Ambassadeur d'Ukraine en Allemagne

Euronews : Mais si l'on regarde la campagne électorale actuelle, ce n'est pas le cas et le soutien à l'Ukraine est à mon avis passé au second plan.

Makeiev : Dans cette courte campagne électorale, certains politiciens peuvent penser qu'il est beaucoup trop compliqué de parler de guerre et de paix.

Cependant, cela a été une révélation pour moi lorsque l'outil Wahl-o-Mat (un outil d'information à l'approche des élections - NDLR) a été lancé et que la première question a été posée sur le soutien à l'Ukraine.

Mais c'est un sujet dont seuls les politiciens courageux et responsables peuvent parler. Si nous prenons en compte l'intérêt des électeurs allemands et le soutien politique entre démocrates, on voit clairement les dangers que représente la Russie pour la sécurité de l'Allemagne, de l'Europe et du monde libre. C'est pourquoi il faudrait aussi en parler dans la campagne électorale.

Et bien sûr aussi des liens avec la migration. Quel a été l'élément déclencheur de cette migration de plus de 1.000.000 d'Ukrainiens vers l'Allemagne ? C'était la guerre de la Russie. Il faut donc arrêter cette guerre, notamment pour endiguer la migration.

L'Institut d'économie mondiale de Kiel a clairement dit que cela coûterait 10 à 20 fois plus cher si l'Allemagne ne soutenait pas l'Ukraine et la laissait seule.

Ce sont des messages très clairs que j'essaie de faire passer partout en Allemagne lors de mes voyages. Et je dois avouer qu'il n'y a pas eu un seul événement où ce soutien a vraiment été remis en question.

Il y a eu beaucoup de questions importantes mais compliquées, et, en expliquant aux gens de quoi il s'agit, en les aidant à voir clair, on peut les "emmener" de notre côté.

C'est aussi ce que j'ai proposé à tous les partis : faites parler de l'Ukraine. C'est important et pas du tout toxique, ce serait honnête vis-à-vis de vos électeurs.

C'est aussi ce que j'ai proposé à tous les partis : faites parler de l'Ukraine. C'est important et pas du tout toxique, mais ce serait honnête vis-à-vis de vos électeurs.
Oleksii Makeiev
Ambassadeur d'Ukraine en Allemagne

Euronews : Vous avez parlé de questions critiques. Avez-vous un exemple ?

Makeiev : Il y avait une question : que signifie pour vous gagner la guerre et y mettre fin ?

Je dis alors que les Russes doivent se retirer de toute l'Ukraine. Des voix se lèvent alors pour dire : "Oh, soyez réalistes, les Russes ne quitteront jamais l'Ukraine !"

Comment gérer cela ? La plupart du temps, on répond que c'est le problème des Ukrainiens. Mais comment réagiriez-vous si votre famille et vos enfants étaient attaqués chez eux par des criminels ?

Bien sûr, vous appelleriez la police. Celle-ci devrait-elle alors aussi répondre : "Soyez réalistes" ?

Nadiya Trubchaninova, 70 ans, pleure en tenant le cercueil de son fils Vadym (48 ans), tué par des soldats russes le 30 mars 2022 à Boutcha.
Nadiya Trubchaninova, 70 ans, pleure en tenant le cercueil de son fils Vadym (48 ans), tué par des soldats russes le 30 mars 2022 à Boutcha. Rodrigo Abd/Copyright 2022 The AP. All rights reserved.

Euronews : Pensez-vous que l'on connaisse l'ampleur des crimes commis par les forces armées russes ? Par exemple, rien que ces derniers jours, on a entendu parlerde plus en plus d'exécutions de soldats ukrainiens.

Makeiev : Toutes ces images et vidéos sont également très traumatisantes pour les Ukrainiens.

Nos psychologues disent par exemple qu'il ne faut en aucun cas regarder des images d'exécutions sur les médias sociaux, car elles sont traumatisantes.

Lorsque je montre à mes connaissances ici des vidéos de bombardements ou de l'état des appartements de mes amis après des attaques, beaucoup me disent qu'ils ne veulent pas voir ça. C'est pour moi le signe que ces crimes sont sciemment refoulés.

On ne s'en sort jamais à long terme avec le refoulement, et cela n'aide pas beaucoup si le sujet est écarté du discours politique et de la perception publique.

Des manifestants arrivent à la porte de Brandebourg, illuminée aux couleurs ukrainiennes, pour le premier anniversaire de l'invasion russe, Berlin, 24 février 2023.
Des manifestants arrivent à la porte de Brandebourg, illuminée aux couleurs ukrainiennes, pour le premier anniversaire de l'invasion russe, Berlin, 24 février 2023. Markus Schreiber/Copyright 2023 The AP. All rights reserved.

Euronews : Et à qui incombe la responsabilité ? Au gouvernement ou à la presse ?

Makeiev : Mon mot préféré est "leadership". Dès le début, je voulais que le Duden le couronne un jour comme mot de l'année.

Je suis toutefois très satisfait de la couverture médiatique allemande. Près de trois ans après le début de la grande invasion, on parle tous les jours de l'Ukraine, quand ce n'est pas en première page. A cela s'ajoutent bien sûr les hommes politiques qui se sont rendus plusieurs fois en Ukraine et qui parlent clairement, sans utiliser d'excuses pour justifier leur passivité ou leur prudence maintenant.

Dans d'autres domaines, comme la culture ou la science, ce n'est pas encore le cas. J'ai parlé avec de nombreux scientifiques qui me disent que leur travail n'a rien à voir avec la guerre.

Selon moi, c'est parce que les gens ne veulent pas voir la guerre et les crimes. Vous ne vous êtes jamais demandé si la coopération ne consistait pas en fait aussi en une relativisation des crimes de guerre ?

Euronews : Avez-vous le sentiment, dans certains domaines, que l'on attend la fin de la guerre pour revenir aux anciennes relations, au 'business as usual'?

Makeiev : Ce qui est particulièrement inquiétant, c'est que certains représentants de l'économie ne font que rêver du fait que, dès que tout sera terminé, on pourra à nouveau faire des affaires avec la Russie.

Cette relativisation des crimes de guerre et aussi la relativisation de ses propres valeurs dans ce contexte pèsent lourd.

Encore une fois, nous sommes tous contre la guerre. Mais certains la mènent.

Les Allemands ont appris à leurs dépens ce que cela signifie d'assumer une responsabilité des décennies plus tard.

À mon avis, cela n'arrive pas du tout aux Russes. Il ne suffit pas d'être contre la guerre - il faut aussi prendre ses responsabilités.

Euronews : Vous avez dit que l'Europe avait besoin de courage. L'Europe a-t-elle du courage ?

Makeiev : On ne le dirait pas. Il faut prendre des décisions courageuses - et cela a un prix. Il faut aussi avoir le courage de le dire clairement aux électeurs et à la société.

Malheureusement, l'aide n'a souvent été que envisagée que "pendant le temps nécessaire" et "autant que nous l'imaginons" - mais pas "autant que nécessaire". Il s'agit pourtant de la responsabilité de ceux qui ont commencé cette guerre.

Nous avons formulé l'objectif final : notre souhait à tous est que la Russie cesse de nous tuer, que les territoires et les populations occupés soient libérés et que la guerre se termine de manière juste. Ensuite, le travail d'élaboration commence.

Comment atteindre notre objectif ? Entre autres par de véritables sanctions économiques, par la confiscation de l'argent russe - sans excuses, sans prétendre que c'est trop compliqué pour les marchés financiers en Europe.

Qui paiera la reconstruction ? Il n'est pas possible que ce soit le contribuable allemand qui paie - et pas les Russes.

Euronews : On parle souvent du fait que la Russie mène déjà une guerre hybride contre l'Occident. La semaine dernière, on a par exemple découvert que l'on soupçonnait un possible sabotage russe contre les Verts. Ce danger est-il pris au sérieux ?

Makeiev : Je proposerais de se séparer du terme "guerre hybride".

Aujourd'hui, le mot 'hybride' est soit perçu comme tel, soit utilisé sciemment pour minimiser le mot 'guerre'.

Euronews : Diriez-vous que la Russie est déjà en guerre contre l'Occident ?

Makeiev: Oui. La Russie fait la guerre à l'Allemagne en tuant une personne au Tiergarten, en s'ingérant dans les élections, en commettant de possibles incendies criminels, en attaquant l'infrastructure énergétique avec des cyber-attaques et de possibles tentatives d'assassinat par, des entrepreneurs allemands de l'armement, comme M. Papperger.

La Russie est en guerre contre l'Occident, et beaucoup ne le voient pas - ou n'ont pas le courage de le percevoir, de le reconnaître et de s'y opposer. Mais la Russie le dit ouvertement : "Nous sommes en guerre contre l'Occident".

Il manque des hommes politiques courageux qui, avec un langage clair et une voix forte, introduisent ce thème dans les débats internes de leurs partis et finissent par l'intégrer dans leurs programmes.

La Russie est en guerre contre nous, et nous ne le voyons pas - ou nous n'avons pas le courage de le percevoir, de le reconnaître et d'agir contre lui. Pourtant, la Russie nous dit à tous : "Nous sommes en guerre avec l'Occident".
Oleksii Makeiev
Ambassadeur d'Ukraine en Allemagne

Le thème de la guerre est impopulaire ou considéré comme tel par les politiques, qui ne veulent pas effrayer la population.

Pourtant, la vérité doit être reconnue et exprimée : c'est précisément pour cette raison que nous devons investir beaucoup plus dans notre propre sécurité. Bien sûr, les gens veulent parler des retraites et des prix. Mais un dialogue honnête avec les électeurs doit également inclure le thème de la guerre.

Sources additionnelles • adaptation : Serge Duchêne

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