Les attentes à l'égard du prochain sommet UE-Chine sont si faibles que les responsables de Bruxelles considèrent comme une victoire le seul fait qu'il ait lieu.
Le sommet entre l'Union européenne et la Chine, qui doit se tenir jeudi, intervient à un moment crucial pour les deux puissances.
Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a bouleversé l'échiquier géopolitique, sapant des alliances historiques, attisant des tensions latentes et jetant le commerce mondial dans une tourmente inédite.
Le chaos est tel que Bruxelles et Pékin, longtemps en désaccord, ont commencé à envisager de renouer leurs liens et de renforcer leur coopération pour faire face à la guerre commerciale déclenchée par le dirigeant américain.
Une occasion "d'approfondir" les relations entre l'UE et la Chine
Le fait que le sommet coïncide avec le 50e anniversaire des relations diplomatiques entre Bruxelles et Pékin n'a fait que renforcer les spéculations sur un rapprochement imminent.
En mai, le président chinois Xi Jinping a déclaré que cet anniversaire offrait une chance de "gérer correctement les frictions et les différences, et d'ouvrir un avenir plus radieux pour les relations Chine-UE".
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, et António Costa, président du Conseil européen, ont joué le jeu en s'engageant à "approfondir [leur] partenariat avec la Chine".
Mais l'accalmie a été de courte durée.
La décision de Pékin de restreindre les exportations de terres rares - des minerais essentiels à la fabrication de technologies de pointe - a suscité l'inquiétude de l'industrie européenne et a été qualifiée de "chantage" par Ursula von der Leyen.
"La Chine utilise ce quasi-monopole non seulement comme monnaie d'échange, mais aussi comme arme pour affaiblir ses concurrents dans des secteurs clés", a-t-elle déclaré lors du sommet du G7 en juin. "Nous avons tous été témoins du coût et des conséquences de la coercition de la Chine".
Pékin a immédiatement répliqué à la cheffe de la Commission, qualifiant sa déclaration de "sans fondement" et de "partiale", tout en lui tendant la main pour construire un partenariat "gagnant-gagnant".
L'espoir d'une véritable avancée est mince
Le mal était fait, cependant. Lorsque Ursula von der Leyen et António Costa rencontreront Xi Jinping jeudi, l'espoir est mince que les deux parties parviennent à une solution concrète.
À tel point que les fonctionnaires de Bruxelles considèrent comme une réussite le simple fait que le sommet ait bien lieu.
"Pour l'UE, le résultat attendu est une conversation substantielle, ouverte et directe entre [les deux parties] sur tous les aspects de nos relations", a déclaré un haut fonctionnaire la semaine dernière, sous le couvert de l'anonymat.
Un deuxième responsable a décrit le sommet comme une "occasion unique" de communiquer les préoccupations de l'Union européenne en vue d'obtenir des résultats "à court terme".
"Nous nous y rendons en espérant que les Chinois comprendront d'abord nos préoccupations et qu'ils prendront ensuite des mesures concrètes pour y répondre", a déclaré le haut fonctionnaire. "Sinon, nous devrons défendre nos propres intérêts".
Des différends persistants
Les problèmes à résoudre ne manquent certainement pas, une myriade de différends opposant l'Union européenne et la Chine depuis la pandémie de COVID-19.
Parmi la longue liste des points de friction - qui vont des cyberattaques contre des organismes publics aux violations des droits de l'Homme -, deux se distinguent : le partenariat de Pékin avec Moscou et les déséquilibres commerciaux causés par la surproduction industrielle chinoise.
Au cours des trois dernières années, les Européens ont été sidérés de voir un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies se tenir fermement aux côtés d'un pays agresseur, en violation des principes fondamentaux de la Charte des Nations unies.
Bruxelles a accusé à plusieurs reprises la Chine d'être le "principal soutien" de l'invasion de l'Ukraine par la Russie et de fournir 80 % des composants utilisés par le Kremlin pour fabriquer des armes. Plusieurs entités chinoises ont ainsi été ciblées par l'Union européenne pour avoir permis le contournement des sanctions économiques.
La semaine dernière, deux banques chinoises ont été inscrites sur la liste noire, ce qui a déclenché la colère de Pékin.
"Nous demandons instamment à l'UE de cesser de porter atteinte aux intérêts légitimes des entreprises chinoises sans aucune base factuelle", a exhorté Guo Jiakun, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, ajoutant que "la Chine fera le nécessaire pour sauvegarder fermement les droits et les intérêts légitimes et légaux des entreprises chinoises".
Ursula von der Leyen et António Costa soulèveront sans doute la question de l'Ukraine lors de leur rencontre en tête-à-tête avec Xi Jinping, mais il est peu probable que leurs appels soient entendus.
Le dirigeant chinois n'a en effet montré aucune volonté de désengagement vis-à-vis de la Russie, allant même jusqu'à assister en tant qu'invité d'honneur aux commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale, à Moscou, en début d'année.
"Nous pouvons dire que la Chine favorise de facto l'économie de guerre de la Russie. Nous ne pouvons pas l'accepter", a déclaré Ursula von der Leyen au début du mois. "La façon dont la Chine continue d'interagir avec la guerre de Poutine sera un facteur déterminant pour les relations UE-Chine à l'avenir".
"La situation actuelle n'est pas viable"
Dans le domaine du commerce, les enjeux sont tout aussi importants et les attentes tout aussi faibles avant le sommet de jeudi.
L'Union européenne est de plus en plus préoccupée par son déficit croissant avec la Chine, qui a dépassé les 300 milliards d'euros de marchandises l'année dernière. Ce chiffre risque encore de s'accroître en 2025 en raison de la faible demande des consommateurs chinois et des droits de douane prohibitifs de Donald Trump.
Dans ce contexte d'incertitude, la Commission européenne a mis en place un groupe de travail spécial pour surveiller le détournement potentiel de produits chinois des États-Unis vers le marché de l'UE.
L'exécutif européen surveille également de près l'utilisation généreuse des subventions par Pékin, accusées de faire baisser artificiellement les prix au détriment des concurrents européens.
"La situation actuelle n'est pas viable. Nous avons besoin d'un rééquilibrage", a déclaré un haut fonctionnaire de Bruxelles.
Le différend commercial a atteint son paroxysme en octobre, lorsque l'UE a imposé des droits de douane élevés sur les véhicules électriques fabriqués en Chine afin de compenser les effets des aides d'État.
Qualifiant cette mesure d'"acte de protectionnisme pur", Pékin a réagi en procédant à des enquêtes sur le brandy, la viande de porc et les produits laitiers fabriqués dans l'UE, ce que Bruxelles a alors dénoncé comme étant "injuste et injustifié".
Pékin est convaincu "que le temps joue en sa faveur"
Un autre grief récurrent des Européens concerne les barrières réglementaires érigées par la Chine pour empiéter sur le secteur privé et donner la préférence aux entreprises nationales.
Cette querelle a récemment conduit la Commission à exclure les fournisseurs chinois d'appareils médicaux des appels d'offres publics européens. Pékin a riposté en imposant une interdiction similaire.
Initialement, le prochain sommet était considéré comme l'occasion de parvenir à une entente sur ces questions sensibles et d'annoncer des solutions provisoires à certains d'entre elles. Si ces différends seront bien à l'ordre du jour du sommet de jeudi, la montée des tensions laisse cependant craindre qu'ils resteront non résolus.
Le seul résultat qu'Ursula von der Leyen et António Costa peuvent raisonnablement espérer est une déclaration commune sur l'action climatique avant la conférence des Nations unies sur le climat qui se tiendra plus tard dans l'année.
Des concessions substantielles dans d'autres domaines sont peu probables, prévient Alicja Bachulska, chargée de mission au Conseil européen des relations étrangères (ECFR), qui explique que "Pékin semble convaincu que le temps joue en sa faveur".