Chili, Pinochet te colle encore à la peau !

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Par Joël Chatreau
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Ils avaient quelques points communs au départ, mais leurs personnalités étaient si opposées que leurs destins ont fini par s’entrechoquer violemment, le temps d’une journée noire pour le Chili, le 11 septembre 1973. Augusto Pinochet et Salvador Allende sont nés tous les deux dans le grand port du Pacifique, Valparaíso. Ils sont de la même génération, le futur président chilien a sept ans de plus que le futur dictateur.

A moins de 18 ans, Salvador Allende entre en faculté de médecine; au même âge, Augusto Pinochet est admis dans une école militaire. Allende n’a qu’une vingtaine d’années quand il rejoint la franc-maçonnerie, comme le veut la tradition familiale. Avec Pinochet, ils vont devenir “frères” de loge, car le jeune militaire est aussi reçu dans le cercle franc-maçon. Maintenant, les deux hommes se connaissent, et comme dans sa carrière, le futur dictateur s’est toujours tenu à distance des militaires adeptes des complots, le futur président a confiance en lui. Salvador Allende lui gardera sa confiance jusqu’au bout, jusqu’au matin du 11 septembre, ce qui lui sera fatal.

Le “doué” et le “médiocre”

Quarante ans plus tard, un nombre non négligeable de Chiliens pensent encore que dans cette histoire, il n’y a pas “le bon” et “le méchant”. Pourtant, les faits, les témoignages, les citations permettent de décrire Salvador Allende comme un étudiant doué et engagé, comme un homme politique passionné, défendant ses idéaux avec détermination et courage. Au contraire, Augusto Pinochet est un mauvais élève, passe pour un homme “tiède” sans beaucoup de personnalité et un militaire médiocre que ses pairs regardent de haut.

Après une éducation bourgeoise, Salvador Allende se transforme en étudiant militant qui brasse des idées marxistes. Le jeune homme va passer à la pratique en luttant contre la dictature de Carlos Ibáñez del Campo. Prison, libération, puis finalement médecin. Etre élu député en 1937 lui donnera des ailes politiques. Salvador Allende enchaîne : ministre de la Santé, sénateur pendant 25 ans, secrétaire général du Parti socialiste, et à ce titre candidat à trois élections présidentielles successives, trois échecs ! Tenace, il se présentera une quatrième fois à la tête d’une coalition de gauche, et ce sera la bonne. Il est élu président du Chili en novembre 1970.

Augusto Pinochet a dû s’y reprendre à trois fois pour être accepté à l‘école militaire. Issu d’une famille modeste, il a la manière de parler des paysans et cherche peu à se faire des amis. Sa carrière va progresser lentement, jusqu‘à ce qu’il prenne le grade de général de brigade en 1970. C’est le président Allende qui fera la plus grave erreur de sa vie en le nommant commandant en chef de l’armée de terre en juin 1973, moins de trois mois avant le jour de “la grande trahison”.

Traître pour un jour, traître pour toujours

Le général Pinochet a sans doute trouvé sa vocation de traître à 58 ans, quelques jours seulement avant le 11 septembre 1973. Il n’a en effet rallié qu’au dernier moment les principaux conspirateurs, l’amiral José Toribio Merino et le général Gustavo Leigh, commandant en chef de l’armée de l’air. Le président chilien n’a rien vu venir, puisque quand le coup d’Etat a débuté dans le port de Valparaiso, il a demandé qu’on appelle “Augusto”, pensant qu’il lui était resté fidèle. Pendant ce temps, “l’ami Augusto” confiait à un autre militaire: “On lui propose de sortir du pays en avion, et l’avion tombe !”.

Un peu avant midi, deux avions pilonnent le palais présidentiel de La Moneda, à Santiago. Les quelques dizaines de frères d’armes de Salvador Allende vont finir par se rendre, mais pas le chef de l’Etat. En costume-cravate, il est effondré sur un canapé du Salon de l’Indépendance. A 65 ans, il s’est tiré une balle sous le menton avec le fusil AK-47 que lui avait offert Fidel Castro.

Ce jour-là, le “tiède”, le “médiocre” a compris qu’il pouvait devenir quelqu’un. Le général Pinochet s’impose très vite au sein de la junte militaire, épaulé par la CIA et béni par Henry Kissinger, conseiller du président américain Richard Nixon. Plus tard, Pinochet trahira les siens en éliminant ses rivaux potentiels à chaque fois qu’il le jugera nécessaire.

Juste après le coup d’Etat, il fait interdire le Parti communiste et arrêter tous les opposants. Il fait dissoudre le Parlement et suspendre tous les partis politiques. Il crée sa police politique, la très cruelle DINA. A la fin de l’année 1974, Augusto Pinochet a déjà tout en mains pour devenir un dictateur pur et dur. Il n’a plus qu‘à se transformer en président légitime, poste qu’il occupera sans interruption jusqu’en 1990.

Les empreintes profondes du dictateur

Le général Pinochet a profité de la vie jusqu‘à 91 ans. Il est mort “en famille” en quelque sorte, dans un lit de l’hôpital militaire de Santiago le 10 décembre 2006. Peu de temps avant de s‘éteindre, il avait conclu : “Je ne compte pas demander pardon à qui que ce soit”. 60.000 Chiliens l’ont indirectement approuvé en défilant devant son cercueil. Sa dictature a laissé derrière elle au moins 3.200 cadavres, des centaines de corps disparus et – ce dont on parle moins – au moins 38.000 personnes qui n’oublieront jamais les tortures qu’on leur a fait subir. Des milliers d’exilés ont également perdu en partie leur pays.

En une quinzaine d’années de démocratie retrouvée, la justice chilienne défaillante n’a jamais réussi à garder le vieux général dans ses filets. Même le super juge espagnol Baltasar Garzón, qui l’avait fait arrêter fin 1998 à Londres pour crimes contre des opposants, a échoué. Toutes les poursuites à l’encontre du dictateur ont été abandonnées en 2001 à cause ou grâce à sa “démence légère à modérée”. Quarante ans après le coup violent que la société chilienne a reçu, elle ne s’en remet toujours pas. Sans justice, la réconciliation n’a pas vraiment eu lieu. La Constitution, taillée sur mesure pour la junte militaire en 1980, est toujours en place.

C’est pourquoi dans un peu plus de deux mois, pour la présidentielle du 17 novembre, le Chili sera divisé entre les deux camps du passé. L’ancienne présidente socialiste Michelle Bachelet sera face à une candidate de la droite dure, Evelyn Matthei. Elles n’ont pas pu échapper à leur destin. Elles sont les filles de deux généraux de l’armée de l’air, Alberto Bachelet, mort sous la torture pour être resté loyal à Salvador Allende et Fernando Matthei, entré au service du général Pinochet. La dictature promet de hanter le pays encore longtemps.


Joël Chatreaueuronews

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