Les armes de la police française suscitent la colère

REUTERS/Gonzalo Fuentes
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Par Euronews avec AFP
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Les armes de la police française font débat. Le défenseur des droits français s'est saisi de la question

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L'accumulation de blessures graves causées notamment par les lanceurs de balles de défense (LBD) a poussé le patron de la police nationale, Éric Morvan, à rappeler les conditions d'utilisation de ces armes dans une note destinée à ses troupes. Le défenseur des droits, Jacques Toubon, a demandé la suspension de leur utilisation.

Les caractéristiques des LBD

Le LBD est une arme d'épaule qui projette des balles de 40 mm semi-rigides en caoutchouc jusqu'à 50 mètres. Son tir est dit « incapacitant ». Ses projectiles sont conçus pour se déformer à l’impact et limiter le risque de pénétration.

Les LBD blessent grièvement

Depuis le début du mouvement des gilets jaunes fin novembre 2018, le gouvernement déplore près de 2 000 blessés côtés manifestants, et 1 000 chez les forces de l'ordre, sans plus de précisions. Des sources s'alarment de "mutilations en série" inédites à ce rythme depuis des décennies en France.

Entre gilets jaunes éborgnés, mâchoires fracassées, coma, la question de l'utilisation de ces armes pose de réelles interrogations.

Le 12 décembre dernier, Jean-Marc Michaud, un horticulteur de Charente-Maritime de 41 ans, a eu le côté droit du visage défoncé par une de ces balles de caoutchouc semi-rigides projetées à plus de 300 km/h, et perdu son œil droit. 

"Si les flics avaient quelque chose à me reprocher, il suffisait de me tirer dans les jambes pour m'immobiliser, et de m'arrêter", regrette-t-il.

Il y a une vingtaine d'années, alors parachutiste, il avait défilé "avec fierté pour la France le 14 juillet sur les Champs-Élysées". Aujourd'hui, dit-il, "des tirs de LBD y blessent chaque samedi des innocents, je ne sais pas comment je vais payer mes chirurgies de reconstruction et je ne suis plus fier du tout de ma France".

Selon une source policière, sur la seule journée d'action du 12 janvier, au moins 5 manifestants ont été grièvement blessés "vraisemblablement" par des tirs de LBD. Parmi eux, Olivier Béziade, un pompier volontaire girondin père de trois enfants, qui a été atteint plus en arrière, à la tempe. Il est depuis hospitalisé, inconscient.

Le collectif militant "Désarmons-les" et le journaliste indépendant David Dufresne ont ainsi recensé près d'une centaine de blessés graves, en grande majorité par des tirs de LBD, dont une quinzaine qui ont perdu un œil.

Le patron de la police rappelle les conditions d'utilisation

Dans le "télégramme" daté de mardi et envoyé aux directions des forces de l'ordre, le Directeur général de la police nationale (DGPN) Éric Morvan juge globalement justifié le recours aux LBD au cours des récentes mobilisations émaillées parfois d'affrontements violents.

Selon lui, cette arme non létale peut être employée en cas d'"attroupement" susceptible de troubler l'ordre public, "e_n cas de violences ou voies de fait commises à l'encontre des forces de l'ordre ou si elles ne peuvent défendre autrement le terrain qu'elles occupent_".

"Ces circonstances correspondent aux émeutes urbaines auxquelles les policiers sont actuellement confrontés", estime ainsi le DGPN, ajoutant que le LBD "peut constituer une réponse adaptée pour dissuader ou neutraliser une personnes violente et/ou dangereuse".

Un responsable policier témoigne : "On se prend des bouteilles en verre, des parpaings, de l'acide, des boulons. Le LBD, c'est l'arme qui fait peur. Si on nous les retire, plus aucun collègue ne voudra aller sur les manifs". Un autre tempère. "Lorsqu'il y a une pagaille pas possible, tu ne peux pas l'utiliser sans risque de dégâts collatéraux".

à Nantes, le 22/12/18 REUTERS/Stephane Mahe

M. Morvan rappelle toutefois que l'emploi de cette arme doit répondre aux principes de "nécessité et de proportionnalité" et être soumis à des "conditions opérationnelles" telles que le respect des "intervalles de distance propres à chaque munition". Le patron de la police nationale précise notamment que "le tireur ne doit viser exclusivement que le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs". En outre, "après un tir et en cas d'interpellation, dès que l'environnement opérationnel le permet, il convient de s'assurer de l'état de santé de la personne et de la faire prendre en charge médicalement si son état de santé le justifie", indique le DGPN.

Selon les manuels d'instruction, les forces de l'ordre ne doivent en effet recourir à ces armes qu'"en cas d'absolue nécessité" et "de manière strictement proportionnée", ne pas tirer au dessus des épaules, ni à moins de dix mètres de la cible, et prendre soin d'éventuels blessés. Mais ces règles sont loin d'être toujours respectées au vu de certaines vidéos qui inondent internet et les réseaux sociaux nourrissant une colère parfois haineuse contre le gouvernement et les forces de l'ordre.

Depuis le début du mouvement, l'IGPN, la "police des polices", a reçu plus de 200 signalements de violences policières, sans qu'on sache combien sont liées au LBD. Ces dernières années, quelques policiers ont écopé de prison avec sursis pour des tirs de LBD jugés abusifs.

Pour sa part, le ministre de l'intérieur français Christophe Castaner soutient sans fard les forces de l'ordre. "Je n'ai jamais vu un policier ou un gendarme attaquer un manifestant", a-t-il affirmé cette semaine.

Le Défenseur des droits pointe la dangerosité

Le Défenseur des droits français Jacques Toubon a réclamé jeudi matin sur l'antenne de RTL la suspension de l'utilisation de ces armes, un an après avoir préconisé son interdiction en maintien de l'ordre en raison de sa dangerosité.

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"Nous avons déterminé, à partir des cas qui nous sont soumis, qu'effectivement l'usage des flashballs, l'usage des lanceurs de balles de défense 40-46 pouvait présenter une grand dangerosité. (...) J'espère que devant l'évidence de ce que nous avons dit, la dangerosité de ces armes de forces intermédiaires, le gouvernement prendra des dispositions".

Le Défenseur des droits Jacques Toubon a reçu 25 saisines - dont certaines collectives - depuis le début de la contestation, douze d'entre elles évoquant des tirs de balles de défense.

Début décembre, quelque 200 personnalités avaient appelé à interdire "immédiatement" l'usage de ces fusils d'épaule à un coup qui projettent des balles semi-rigides de calibre 40 mm.

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