Pris dans la tourmente de la pandémie, il met 9 semaines pour rentrer chez lui

Mark Gonzales sur son lit de camp dans le terminal de l'aéroport Charles de Gaulle
Mark Gonzales sur son lit de camp dans le terminal de l'aéroport Charles de Gaulle Tous droits réservés M.Gonzales
Par Thomas Seymat
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Vols annulés, fermetures de frontières, nuits passées à l'aéroport Charles de Gaulle, complications administratives... Pour un voyageur pris dans la tourmente de la pandémie, rentrer chez lui est devenu un calvaire de 9 semaines.

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Mark Gonzales pensait embarquer début mars pour un simple voyage d'affaires de 10 jours. "J’avais été invité par l’université de Stanford [en Californie] pour le lancement d’un incubateur sur l’art et la société," raconte à Euronews cet auteur américain qui habite en Tunisie une partie de l'année avec sa femme et ses deux filles. Pris dans la tourmente du Covid-19 — vols annulés, fermetures de frontières, nuits passées dans un aéroport Charles de Gaulle vide et complications administratives — cela fait aujourd'hui plus de 7 semaines qu'il essaie de retrouver les siens.

"Au moment où j'ai quitté la Tunisie, le Covid-19 étaient déjà dans l'actualité et les bilans commençaient à monter, mais je n'avais pas entendu parler de problèmes pour les voyageurs". Tout va bien se passer, se dit-il, "c'est juste un voyage rapide". A l'atterrissage à San Francisco, il se rend compte que pendant son vol transatlantique, les choses ont évolué rapidement.

"L'aéroport était peu peuplé, tout le monde avait un masque" et la conférence pour laquelle il est venu est déplacée en ligne. Le lendemain, tout s'accélère : l'université de Stanford annonce qu'elle ferme ses portes jusqu'à la fin de l'année scolaire. Quelques heures plus tard c'est South by Southwest à Austin (Texas), où l'auteur devait intervenir ensuite, qui est aussi annulé.

Le même soir tombe l'information qui fera comprendre au monde qu'une nouvelle ère débute : l’Italie annonce la fermeture de ses frontières. "Tous ceux qui voyagent à l’international savent qu’il y a un effet domino : quand un pays instaure des mesures, les autres nations suivent" raconte l'intellectuel, dont la spécialité est d'imaginer les futurs possibles. "Cela a été un signal d’alarme pour moi : il fallait que je rentre à la maison."

Huit heures d'attente

Impossible de contacter Delta, la compagnie aérienne, pour changer son billet. Les lignes sont surchargées, "la boîte vocale annonçait 8h d'attente !". Au même moment, Donald Trump annonce alors des restrictions sur les vols entre les Etats-Unis et l'Europe, accélérant la cohue. M.Gonzales arrive à faire changer son billet une première fois à l'aéroport de Los Angeles mais le vol est annulé 2h avant son départ. La compagnie aérienne lui propose un autre vol, au départ de San Francisco, à 6 heures de route de là. Il s'y rend, mais ce vol est lui aussi annulé.

"Heureusement ma soeur et sa famille habitent vers San Francisco. Ils ont une chambre d'ami chez eux et m'ont proposé de m’accueillir confortablement en attendant que je puisse rentrer chez moi" raconte M.Gonzales. "Commence une période qui aurait dû durer une semaine mais qui va au final durer 7 semaines avec plus de six autres vols annulés".

Après 7 semaines, Mark Gonzales arrive à prendre un avion pour Paris au départ de San Francisco via Atlanta. Ces deux aéroports internationaux ont accueilli plus de 165 millions de voyageurs à eux deux en 2019. Cette fois-ci, ils sont déserts. Dans l'avion pour Paris, il y a principalement des Français rapatriés. Mais pour notre voyageur, les soucis ne s’arrêtent pas là.

Le 6 mai, "j'atterris à Paris Charle de Gaulle, prêt à prendre mon vol de correspondance pour Tunis sur Tunis Air. J'arrive au guichet de la compagnie, et là les agents me disent 'votre nom n'est pas sur la liste des passagers' ". Une confusion administrative entre la compagnie aérienne et les douanes tunisiennes, qui avaient validé son ticket, l’empêche d’embarquer. "Ils m’ont dit ‘désolé mais l’avion doit partir’. Et ils sont partis !’ "

M.Gonzales se retrouve alors dans un terminal de l'aéroport Charles de Gaulle pratiquement vide. Sa femme Soraya, qui est citoyenne tunisienne, contacte de son côté le consulat, les douanes et l'aéroport pour tenter de résoudre la situation. Sans succès : ils ne savent pas quand est le prochain vol, ni s'il y aura une place pour lui dans l'avion. Air France propose même au père de famille de le renvoyer aux Etats-Unis, en raison de sa nationalité, considérant que la Tunisie lui refuse l'entrée sur le territoire. Mais il ne se démonte pas.

Je viens de voyager 9 000 km ; après 7 semaines je ne suis plus qu’à une heure et demi de vol de ma femme et des mes enfants de 6 et 2 ans. Donc je ne vais pas abandonner si près du but.
Mark Gonzales

Il décide de tenter sa chance et d'attendre un éventuel prochain vol. Il est coincé dans l'aéroport ; il ne peut pas sortir en raison du confinement en vigueur en France. "Je me dis ‘Bon, Ok’. Ça va être mon hôtel, hôtel Charles de Gaulle, jusqu’à ce qu’on trouve une solution". Il va passer plusieurs nuits sur un lit de camp mis à disposition par le personnel de l'aéroport. Pratiquement toutes les restaurants et magasins de l'aéroport sont fermés ; il se nourrit grâce aux distributeurs automatiques et aux rares boutiques Relay encore ouvertes.

M.Gonzales
Mark Gonzales sur son lit de camp dans le terminal de l'aéroport Charles de GaulleM.Gonzales

Pendant ce temps, sa femme Soraya continue de contacter des officiels dans les ministères en Tunisie pour obtenir des informations. Un post Facebook de Mark où il explique son calvaire devient viral, touchant "plusieurs dizaines de milliers de personnes". Les propositions d'aides affluent : "_les gens disaient que j'étais une nouvelle version du film Le Terminal pendant la pandémie de Covid-19 et pendant le ramadan_". Seule réponse officielle, un vol prévu pour le dimanche — M.Gonzales est arrivé à Paris le mercredi — mais rien de certain.

Au bout de 3 jours de solitude et d'espoirs déçus, à la fin de "mon petit tour dans le terminal, je vois, juste à côté de là où je dors, un écran pour un vol Air France pour Tunis". Ce vol "n'était sur aucun site," mais, pour notre Tom Hanks au temps du coronavirus, ce n'est pas un mirage. Il explique alors toute son histoire aux agents Air France présents à la porte d'embarquement, les vols annulés, les trois jours passés à dormir dans l'aéroport... Ils lui disent que ce vol est pratiquement vide et Mark, tout en écrivant à sa femme pour qu'elle informe les douanes et le consulat, peut enfin embarquer dans un avion direction Tunis. "Il n'y a que 4 autres passagers à bord. Il y a plus de personnels de bord que de passagers".

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La chambre de l'hôtel où Mark Gonzales doit rester en quarantaine avant de retrouver sa famille.M.Gonzales

En quarantaine sur le sol tunisien

A l'arrivée, comme la Tunisie a fermé ses frontières et imposé une quarantaine pour chaque arrivant à l'aéroport de Tunis-Carthage, il est transféré en bus dans un hôtel d'Hammamet, transformé pendant la crise sanitaire en centre d'accueil. "C’est devenu ma maison pour deux semaines, ma résidence. Je dois encore y rester 10 ou 11 jours" explique l'auteur lors d'une interview vidéo. Sa température est surveillée une fois par jour par une docteure. Il peut dormir dans un vrai lit, et s'en est fini des sandwichs d'aéroports, de vrais repas lui sont montés dans sa chambre.

Musulman pratiquant, l'intellectuel a aussi dû vivre l'épreuve du voyage retour alors qu'il jeûnait pour le mois du ramadan. Pour lui, ce temps sacré, déjà propice à la réflexion personnelle, a pris un sens tout particulier durant la pandémie. Le ramadan et le coronavirus "remettent tout deux en question nos habitudes, comme aller au restaurant ou certains conforts. Cela nous force à faire face à des questions que nous voulons éviter d'habitude. C'est à ce moment que l'on peut trouver de nouvelles vérités, un nouvelles sagesse".

M.Gonzales
Mark Gonzales avec sa Soraya Hosni et ses filles Sirat et Anya.M.Gonzales

A la fin de cette quarantaine, quand M.Gonzales pourra retrouver ses proches, ils auront été séparés près de 9 semaines. Coincé en Californie, il a raté l'anniversaire des 2 ans de sa plus jeune fille. Alors, "la première chose que je vais faire quand je vais retrouver ma famille est de les prendre dans mes bras", confie-t-il. "C’est la leçon que je tire de cette histoire personnelle et de ce moment de notre Histoire. Quand tout commence à s'écrouler et le contrôle semble nous échapper, quand nous ne pouvons plus nous rassembler et créer des liens, les choses qui nous considérions auparavant comme acquises deviennent plus claires".

Le futuriste ajoute : "après le ramadan et la pandémie, nous avons l'opportunité de faire émerger un nouveau monde dans lequel nous sommes tous plus reconnaissants pour la vie, les liens et les relations humaines".

Video editor • Alexis Caraco

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