Loi "séparatisme" : pourquoi la laïcité à la française n'est pas toujours comprise à l'étranger

La loi contre le "séparatisme" a créé des remous en France, mais comment est-elle perçue à l'étranger ?
La loi contre le "séparatisme" a créé des remous en France, mais comment est-elle perçue à l'étranger ? Tous droits réservés Ludovic Marin/Copyright 2020 The Associated Press. All rights reserved
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En France, le projet de loi contre le "séparatisme" doit être voté ce mardi à l'Assemblée. Que contient-il ? Pourquoi est-il décrié et pas toujours compris à l'étranger ? Euronews fait le point.

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En France, le projet de loi contre le "séparatisme" doit être voté ce mardi à l'Assemblée. Que contient-il ? Pourquoi la laïcité à la française, à laquelle il renvoie, suscite-t-elle parfois incompréhension et critiques à l'étranger ? Euronews fait le point.

Rarement un projet de loi français n'aura autant fait parler ces dernières années, y compris à l'étranger. Présenté comme l'une des grands réalisations du quinquennat d'Emmanuel Macron, le texte a été rebaptisé projet de loi "visant à conforter les principes républicains" en lieu et place du mot "séparatisme". Des termes prudents et plus consensuels, pour ne pas dire qu'il vise à lutter contre l'islamisme radical.

Dans un document envoyé à la presse en décembre, la philosophie du texte était ainsi présentée : "Le gouvernement lutter contre ceux qui dévoient la religion pour mettre en cause les valeurs de la République. Il s’agit d’empêcher que, sur certaines parties du territoire national, certains instrumentalisent la religion pour construire une société parallèle et imposer leurs règles à la République."

"Lorsqu'on lit la justification de la loi par le ministre de l'Intérieur ou par le président de la République, ils vont parler d'entrisme, de gangrène ou de séparatisme d'un certain islamisme politique. Or il n'est pas possible de légiférer seulement pour le culte musulman sans tomber dans la discrimination, donc l'Etat a fait ce choix de revoir le cadre juridique des relations avec les cultes. On aurait pu simplement engager des réformes ou actions sur le terrain policier par exemple, de contrôle des financements étrangers des associations, ou de la surveillance, ce qui a été fait par d'autres États comme l'Angleterre où l'on a pas touché fondamentalement au cadre juridique des religions, mais plutôt une approche sécuritaire et policière", analyse Alexis Artaud de La Ferriere, chercheur au sein du Groupe Sociétés Religions Laïcités au CNRS et à l'École pratique des hautes études.

Que contient le texte ?

Alors, que contient ce texte ? Première disposition : la lutte contre la haine en ligne, avec l'article dit "Samuel Paty". Cet enseignant avait été décapité après avoir été la cible d'une campagne haineuse sur les réseaux sociaux, pour avoir montré les caricatures de Mahomet en classe dans le cadre d'une discussion sur la liberté d'expression. Le projet de loi prévoit la création d'un délit de "mise en danger de la vie d'autrui par la diffusion, dans un but malveillant, d'informations relatives à la vie privée". Le projet de loi prévoit aussi de mieux protéger les agents du service public contre les pressions.

Un autre volet du projet de loi s'attaque aux associations cultuelles, accusées de parfois saper les valeurs républicaines et de faire la promotion de l'islam radical. L'idée est de renforcer la transparence au niveau des finances, de mieux contrôler l'attribution de subventions publiques ou encore de dons étrangers. Enfin, un dispositif permettrait au préfet de fermer un lieu de culte où sont prononcés des discours haineux.

Enfin, un autre volet concerne l'éducation. Le gouvernement compte strictement limiter la scolarisation à domicile à quelques conditions précises : handicap, raisons de santé, ou encore le déplacement des parents. Le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin souhaitait éviter que certains enfants deviennent "des fantômes de la République" et finissent "aux griffes de islamistes".

Le gouvernement prévoit aussi de serrer la vis des écoles hors contrat (dont une minorité sont de nature confessionnelle) et de fermer les établissements qui ne respectent pas leurs obligations.

Alors pourquoi ce texte est-il aussi décrié ?

Le projet de loi est jugé insuffisant par la droite et l'extrême-droite, discriminatoire par la gauche. Le Conseil français du culte musulman craint un climat de "suspicion généralisé" et de "délit de faciès" vis-à-vis de l'ensemble des musulmans. Le projet de loi renvoie aussi à un débat sur la laïcité à la française, qui suscite parfois l'étonnement ou l'incompréhension à l'étranger, voire des réactions hostiles.

"La manière dont l'universalisme s'exprime et s'organise en France, c'est-à-dire d'avoir une forme de présentation de soi dans l'espace de la République où l'on va au-delà de ses différences particulières, où l'on se retrouve comme faisant universellement partie du corps politique de la Nation et de la République est plus fort en France, que dans des pays de tradition anglo-saxonne, où la reconnaissance de différentes communautés, qui peuvent exprimer des différences culturelles ou des différences de tradition plus explicites dans l'espace public est plus reconnue", analyse Alexis Artaud de La Ferriere, chercheur au sein du Groupe Sociétés Religions Laïcités au CNRS et à l'École pratique des hautes études. 

"En France, c'est vrai que du fait, en partie, des conflits qu'il y a pu y avoir entre les Républicains et les Catholiques au cours du 19ème siècle et du fait de la façon dont l'immigration musulmane a été gérée en France, c'est vrai qu'il y a un certain malaise avec l'affirmation ou la démonstration de différences particulières dans l'espace public", ajoute-t-il.

Mais ce n'est pas la seule raison qui puisse expliquer les attaques formulées ces derniers par certains pays musulmans et certains dirigeants à l'égard de la France. "La question de la perception de la laïcité par certains pays à majorité musulmane est un peu différente, car on entre ici dans des conflits géopolitiques, dans des questions de prises de position et de postures de la part de certains chefs d'État comme Erdogan en Turquie, qui visent une audience intérieure, pour renforcer et asseoir son pouvoir dans son pays en trouvant un ennemi au-delà des frontières", relèveAlexis Artaud de La Ferriere.

Dans un contexte de menace terroriste élevée, Emmanuel Macron peaufine aussi sa stratégie en vue de la présidentielle de 2022, pour ne pas laisser le champ libre à Marine Le Pen sur ce thème régalien. Mais face aux accusations de stigmatiser l'Islam, le président français a souhaité davantage intégrer le Conseil français du culte musulman. Après plusieurs semaines de tensions, celui-ci a formellement approuvé une "charte des principes" de l'islam de France, mais elle ne fait pas l'unanimité au sein de certaines branches plus radicales, qui ont refusé de la signer.

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