Corruption au sein de l'UE : Věra Jourová défend le nouvel organe éthique européen

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Par Sandor Zsiros
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Sur Euronews, la vice-présidente de la Commission européenne Věra Jourová défend le nouvel organe éthique proposé par Bruxelles qui devrait selon elle, aboutir à des normes plus élevées au sein des institutions, après le scandale de corruption au Parlement.

Le scandale de corruption au Parlement européen a entamé la confiance dans l'Union. Aujourd'hui, les institutions redoublent d'efforts pour renforcer la transparence et leur propre crédibilité. Nous évoquons les actions envisagées par la Commission dans ce domaine et les critiques qu'elles soulèvent, ainsi que d'autres dossiers en cours comme la lutte contre la désinformation sur les médias sociaux et la récente procédure d'infraction lancée par l'UE contre la Pologne, avec Věra Jourová, vice-présidente de la Commission en charge des Valeurs et de la Transparence.

Sándor Zsiros, Euronews :

"Six mois se sont écoulés depuis l'un des plus grands scandales de corruption de l'histoire de l'Union européenne. Selon les derniers sondages, la majorité des Européens, 60 % d'entre eux, sont mécontents de la manière dont l'Union s'occupe de la corruption. Cela vous surprend-il ?"

Věra Jourová, vice-présidente de la Commission européenne en charge des Valeurs et de la Transparence :

"Cela ne me surprend pas, mais en même temps, cela me pousse encore plus à agir dans ce domaine. Peu importe où le scandale est apparu, il a concerné l'une des institutions et il est probablement davantage dû à la défaillance d'individus que celle d'un système dans son ensemble. Mais que peuvent se dire les citoyens ? "Ce sont des politiciens bien payés qui jouissent de privilèges immérités ! Nous ne savons pas quelles sont les normes et s'il existe une certaine éthique"... Trop de questions se posent et trop peu de réponses sont apportées. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté le paquet anti-corruption qui concernera les institutions de l'Union européenne et [jeudi 8 juin,] j'ai présenté le tout premier organe européen chargé des questions d'éthique qui couvrira toutes les institutions clés de l'Union."

"L'organe éthique comblera des lacunes"

Sándor Zsiros :

"Parlons de ce nouvel organe éthique puisqu'il doit élaborer les futures normes pour toutes les institutions de l'Union européenne. Mais des ONG et des eurodéputés demandent que le contrôle ne soit pas lié à l'Union, mais qu'il soit indépendant. Pourquoi n'est-ce pas le cas ?"

Věra Jourová :

"L'organe chargé des questions d'éthique comblera des lacunes. Il faut rappeler que chacune des institutions dispose d'une structure interne qui devrait faire ce travail. L'organe éthique ne doit pas remplacer ces dispositions institutionnelles. (..) Il viendra chapeauter toutes les institutions et le travail sur les normes communes se reflétera ainsi, dans le travail de chaque institution. Quant à la question : pourquoi ne pas créer un organe indépendant ? Je pense qu'il est important que cet organe soit composé de personnes qui connaissent le travail et le rôle de chaque institution. C'est pour cela que j'ai proposé quelque chose de très pratique : il y aura dix personnes autour de la table - le niveau politique avec les vice-présidents de chaque institution ou des fonctionnaires de haut niveau et cinq experts indépendants qui sont invités à travailler avec les représentants des institutions -. Je veux que l'organe éthique soit utile, pratique et transparent, de sorte que les normes sur lesquelles il se mettra d'accord soient portées à la connaissance du public."

Sándor Zsiros :

"Par exemple, ces nouvelles normes empêcheront à l'avenir, un directeur général de la Commission de prendre un avion ou de séjourner dans un hôtel aux frais d'acteurs étrangers comme le Qatar."

Věra Jourová :

"Franchement, je ne comprends pas comment cela peut se produire, car soit je suis en voyage d'affaires et alors cela doit être avalisé et payé par l'institution pour laquelle je travaille. Soit il s'agit d'un voyage privé et je le paie moi-même. Je ne vois pas d'espace pour autre chose et je pense que c'est exactement ce que l'organe éthique devrait clarifier et nous devrions nous mettre d'accord sur ce point."

Vers des normes "plus élevées pour les déclarations de patrimoine, les cadeaux, les voyages et les activités post-mandat"

Sándor Zsiros :

"Ce sont neuf institutions qui doivent trouver un terrain d'entente sur les futures règles éthiques. Pensez-vous que celles-ci seront suffisamment solides ?"

Věra Jourová :

"Elles devront être plus élevées qu'aujourd'hui. J'en suis convaincue. Et bien sûr, si l'on considère ces dix institutions - car je compte aussi la Banque européenne d'investissement - nous sommes donc dix ensemble -, évidemment, il faudra que toutes les institutions y souscrivent et deviennent des partenaires, mais je l'espère -, nous fixerons des normes élevées pour les déclarations de patrimoine, les cadeaux, les voyages, les activités post-mandat... Il se peut que l'organe éthique fixe des normes qui soient moins strictes que celles qui sont déjà en place dans certaines institutions. Je vais vous donner un exemple : les banquiers. Nous devrions avoir la Banque centrale européenne et la Banque européenne d'investissement au sein de cet organe où il existe déjà des règles très strictes pour leurs membres, en ce qui concerne les déclarations de patrimoine."

"Il devrait y avoir des normes identiques pour tous les eurodéputés"

Sándor Zsiros :

"Pensez-vous que les 700 eurodéputés sont également en phase avec cet objectif d'imposer des normes plus strictes ?"

Věra Jourová :

"Si vous leur posez la question directement, tous vous répondront oui. [sourire] J'ai parlé avec de nombreux membres du Parlement. Évidemment, le Parlement est une institution particulière : ce sont des personnes directement élues, il y a toujours un débat sur la liberté que leur donne leur mandat ou leur immunité. Il est parfaitement légitime de débattre de tout cela. Mais en même temps, il devrait y avoir des normes suffisamment élevées et identiques pour tous les membres du Parlement. Il y a des opinions très diverses selon les différents groupes politiques et je suis prête à en discuter avec chacun d'entre eux."

Un organe "sans autorisation légale la plus forte possible"

Sándor Zsiros :

"Qu'en est-il des investigations et des sanctions relatives à ces règles éthiques ?"

Věra Jourová :

"Eh bien, cela doit rester de la prérogative des institutions qui disposent d'une base légale solide pour le faire. Je sais que cela semble trop technique, mais je dois rappeler que cet organe éthique sera établi sur la base de l'accord car il n'est pas prévu dans le traité et il ne sera pas établi sur la base du droit.

Quand vous travaillez pour un organe établi sur la base du droit, vous êtes autorisés à consulter des documents privés et différents types de supports. Vous êtes autorisés à interroger les personnes, mais aussi à les sanctionner et cela nécessite vraiment l'autorisation légale la plus forte possible. L'organe éthique lui ne l'aura pas."

Paquet "Défense de la démocratie" : "Il n'y a pas de stigmatisation"

Sándor Zsiros :

"Pour lutter contre les influences étrangères, la Commission européenne propose aussi un nouveau paquet intitulé "Défense de la démocratie". Mais les ONG ont protesté contre cette législation, estimant qu'elle était très similaire à la loi russe de 2012 sur les agents étrangers. Après ces critiques, allez-vous modifier cette législation pour satisfaire les ONG ?"

Věra Jourová :

"Les critiques étaient fondées sur un manque d'informations à propos de ce que nous prévoyons, et je ne critique personne. Je pense que c'est principalement à nous d'informer tous ceux qui pourraient se sentir concernés par ce que nous envisageons. Ce que nous prévoyons, c'est un niveau élevé de transparence sur les transferts de fonds vers l'Union européenne et je pense qu'on est loin de la loi géorgienne ou même de la loi américaine ou australienne, qui est une loi de justice pénale. Il n'y a pas de mise à l'index, pas de notion d'agents étrangers, pas de stigmatisation. Nous voulons même intégrer dans la loi, le garde-fou contre les abus possibles de la part de certains États membres pour ne pas aller au-delà des demandes ou des exigences de la loi.

Mais vous m'avez aussi interrogé sur le processus. Nous avons admis qu'il nous fallait plus de temps pour les consultations avec tous ceux qui ont fait part de leurs préoccupations, en particulier les ONG, pour aller vite - mais beaucoup d'autres ont aussi soulevé de nombreuses questions dans les instances officielles des États membres -. Je profiterai de cet été pour mener des consultations sur la base d'un texte déjà très précis, pour que nous sachions de quoi nous parlons.

La deuxième chose que nous devons faire, c'est d'essayer de collecter des données qui nous permettront de mieux déterminer l'ampleur du problème. Il n'est pas facile de réunir de telles données car elles sont principalement en possession des services secrets et des agences de sécurité des États membres et nous étudions actuellement les moyens d'obtenir des données fiables. Donc, nous ferons ces deux choses au cours de l'été et nous évoquerons de nouveau, ce sujet à l'automne. Car je suis convaincue que nous avons besoin d'une telle législation. Et sans elle, nous serons le seul espace démocratique à ne pas avoir de législation qui vise au moins, à accroître la transparence et à nous donner une chance de savoir qui est payé par les gouvernements des pays tiers.

C'est d'ailleurs, la dernière chose que je voudrais dire sur le fond, car on a aussi critiqué le fait que cette législation concernera tout l'argent venant de l'étranger. Non, elle concernera l'argent versé par les gouvernements des pays tiers et les organisations d'État."

"La propagande pro-Kremlin doit être supprimée des plateformes"

Sándor Zsiros :

"Pensez-vous que les grandes plateformes de médias sociaux en font assez pour lutter contre la désinformation ? Car le système européen actuel est basé sur le volontariat et Twitter est en train de quitter ce système..."

Věra Jourová :

"La législation sur les services numériques entrera bientôt en vigueur. Il s'agira d'une législation juridiquement contraignante et stricte qui vise à accroître la responsabilité des plateformes. Il s'agit d'une réaction à un phénomène que nous avons constaté au fil des ans, à savoir que les plateformes acquièrent trop de pouvoir et sont réticentes à prendre les responsabilités qui s'imposent. Nous avions déjà et nous aurons en parallèle, le Code de bonnes pratiques contre la désinformation qui est appliqué de manière volontaire. À l'heure actuelle, nous comptons 44 signataires. Toutes les grandes plateformes à l'exception de Twitter y participent. Nous pouvons faire beaucoup avec ce Code, mais bien sûr, il y a encore des lacunes. [sourire]

Alors, qu'est-ce que je veux changer ? Premièrement, il faut nous attaquer à la désinformation pro-Russie et pro-Kremlin, car il s'agit d'un cas évident. La propagande doit être supprimée. Nous sommes dans la guerre de l'information et il ne doit pas y avoir de compromis. Deuxièmement, nous voulons que les plateformes fassent de la modération et investissent dans la vérification des faits. Cela ne peut pas se faire uniquement en anglais ou en allemand. Il faut le faire dans toutes les langues des États membres. Ce qui est compliqué, c'est que plus on va vers l'Est de l'Europe, plus la pression de la propagande russe se fait sentir. Nous voulons donc que les plateformes investissent dans la vérification des faits dans ces pays. Nous constatons une grande influence de la propagande russe en Slovaquie et sur l'opinion publique bulgare. Nous constatons des pressions accrues sur les communautés allemandes, notamment par le biais d'intermédiaires nationaux. Il s'agit d'un phénomène nouveau quand la propagande russe est reprise par les partis extrémistes au sein de l'Union européenne. C'est une nouvelle étape dangereuse. Il faut donc que les plateformes fassent une meilleure modération.

La troisième chose que nous attendons d'elles, c'est de permettre aux chercheurs d'avoir un meilleur accès aux données. (...) J'aimerais qu'internet et les médias sociaux restent une zone de liberté d'expression. Mon souci est donc de ne pas nuire à cet objectif avec les règles que nous adoptons, mais pour prendre des mesures proportionnées et nécessaires, nous devons savoir ce qui se passe et les chercheurs doivent nous aider en nous livrant une analyse sérieuse.

La quatrième chose, et c'est un nouvel ordre du jour que j'ai demandé lundi aux plateformes d'examiner, c'est l'essor nouveau de l'intelligence artificielle générative. Là encore, le Code peut être un vecteur rapide, une réponse rapide."

Les contenus produits par l'intelligence artificielle "doivent être clairement identifiables"

Sándor Zsiros :

"C'est justement ma question suivante. ChatGPT soulève des inquiétudes sur les fake news, les fausses citations. Beaucoup de gens s'inquiètent en général, de la prolifération de l'intelligence artificielle. Craignez-vous qu'à l'avenir, la frontière entre la réalité et la fiction disparaisse ?"

Věra Jourová :

"Non. Mais encore faut-il que les gens eux-mêmes qui lisent et voient ces contenus soient capables de se rendre compte que ce qu'ils ont sous les yeux a été produit par l'intelligence artificielle... Et nous devons être tenaces sur ce point. Nous devons insister sur le fait que la production d'intelligence artificielle doit se faire correctement et qu'elle doit être identifiable d'une manière claire et compréhensible. (...) Nous sommes à un moment critique de l'histoire et que nous devons défendre les vraies personnes. Comment le faire ? En ne donnant pas aux robots, ni liberté d'expression, ni automaticité des publications sur les plateformes et en ne protégeant pas la production des robots par des droits d'auteur. Je pense que ce sont des principes très simples, toujours liés à notre objectif de protéger les droits existants des vraies personnes."

"En Hongrie, le gel des fonds européens donne des résultats"

Sándor Zsiros :

"Au sujet de la bataille autour de l'État de droit entre l'Union européenne, d'un côté, et la Pologne et la Hongrie, de l'autre, la Commission emploie des méthodes relativement nouvelles, en particulier dans le cas de la Hongrie, à savoir la suspension du versement de fonds européens. Pensez-vous que cela permettra d'obtenir davantage de résultats ?"

Věra Jourová :

"En Hongrie, nous constatons que la conditionnalité et le gel des fonds qui lui sont alloués donnent des résultats après de nombreuses années d'une situation figée qui ne nous convenait pas du point de vue de l'État de droit. Aujourd'hui, nous constatons qu'une réforme de la justice est en cours en Hongrie et que de nombreuses mesures ont été prises pour renforcer la protection des fonds européens. Évidemment, nous aimerions voir des actions de plus grande ampleur. Mais pour l'instant, je dois dire que la pression financière est peut-être plus efficace que certaines mesures légales, même si nous devons utiliser tous nos moyens d'action avec les procédures d'infraction et l'article 7."

Pologne : une "législation qui met en danger une compétition démocratique"

Sándor Zsiros :

"En parlant de procédures d'infraction, la Commission européenne vient d'en lancer une contre la Pologne parce que ses dirigeants proposent une nouvelle législation contre ce qui est présenté comme la pression étrangère, l'influence étrangère. De nombreuses ONG et l'opposition craignent qu'elle ne soit utilisée comme une arme politique dirigée contre elles. Quel est votre point de vue à ce sujet ?"

Věra Jourová :

"Nous avons très vite réagi à cette législation - cette réaction rapide est sans précédent - parce que nous considérons que cette législation met en danger une compétition démocratique ou la manière démocratique de procéder. Bien sûr, des élections sont prévues en Pologne, mais même si des élections ne devaient pas se tenir dans un délai si court, nous aurions dû réagir car c'est une question de principe. Je dis toujours que nous devons mieux protéger les élections et l'une de vos questions portait sur la possibilité de subir l'influence d'acteurs malintentionnés. (...) La législation polonaise stipule que certains groupes et certaines personnes ne peuvent pas participer. C'est pourquoi, indépendamment des élections à venir en Pologne, nous devions réagir car la création d'un organe purement politique, qui devrait avoir des compétences comparables à celles des procureurs ou des juges, selon notre évaluation de la situation, constitue une violation de la législation européenne."

Journaliste • Sandor Zsiros

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