La pression monte sur le gouvernement syrien après les récents massacres qui ont fait plus de 1 300 morts dans l'ouest du pays. Le gouvernement a annoncé la création d'une commission d'enquête, mais de nombreux pays et organisations internationales restent sceptiques quant à son indépendance.
Après les violences sur la côte ouest syrienne, et en prévision de l'impact possible sur les sanctions occidentales contre son pays, le président intérimaire Ahmed al-Charaa a confirmé que les sanctions imposées à la Syrie entravent la capacité de son gouvernement à contrôler la sécurité et à restaurer la stabilité, indiquant que l'escalade de la violence dans le pays est liée à des attaques menées par des fidèles de l'ancien régime de Bachar al-Assad et à un État étranger, sans révéler d'autres détails.
Al-Charaa, qui a annoncé la création d'un comité d'enquête national chargé de demander des comptes aux personnes impliquées dans les violences contre les alaouites et les minorités dans l'ouest du pays, a souligné que les personnes impliquées devront répondre de leurs actes "même si elles sont les plus proches de nous", insistant sur l'engagement de son gouvernement à rendre justice et à ne pas permettre que la situation actuelle se transforme en "une occasion de se venger" des griefs du passé.
Dans le même temps, le président syrien a refusé de révéler l'identité des personnes impliquées dans les récents assassinats, se contentant de dire que les autorités chargées de la sécurité s'efforçaient de découvrir la vérité et de traduire les responsables en justice.
Faut-il y voir un changement dans la rhétorique utilisée au début de l'attaque sur la côte, qui ne visait qu'à poursuivre les "restes du régime d'al-Assad" ?
Entre pression internationale et remise en cause de l'autonomie
Avec les événements de la deuxième semaine de mars, la Syrie est entrée dans une phase critique où les défis lancés au nouveau gouvernement se multiplient et où la société semble au bord de l'ébullition, menaçant d'une explosion sécuritaire prolongée.
Les événements survenus sur la côte se sont rapidement transformés en une crise politique et humanitaire qui a suscité de nombreuses critiques de la part de la communauté internationale, en particulier après les rapports, les vidéos et les témoignages en direct de dizaines de massacres sectaires contre des civils alaouites.
La pression occidentale croissante et les exigences d'une enquête indépendante et transparente ont incité le gouvernement d'al-Charaa à modifier sa rhétorique, passant de l'"élimination des vestiges de l'ancien régime" à l'annonce de la formation d'un comité d'enquête, une décision que certains ont décrite comme "plus une réponse à la pression qu'un véritable engagement à rendre des comptes".
Événements sur la côte syrienne
Le week-end dernier, le littoral syrien, en particulier les gouvernorats de Lattaquié et de Tartous, a été le théâtre d'horribles violences qui ont fait des centaines de morts, dont un grand nombre de civils. Dans un premier temps, le gouvernement syrien a adopté une rhétorique axée sur "l'élimination des groupes armés affiliés à l'ancien régime". Dans une déclaration officielle, le président Ahmed al-Charaa a affirmé que les forces de sécurité menaient "une bataille nécessaire contre les vestiges d'al-Assad qui cherchent à déstabiliser le pays".
Cependant, les rapports de terrain publiés par les organisations de défense des droits de l'homme et les médias internationaux ont donné une version différente, décrivant des"massacres de nettoyage sectaire" et confirmant des "exécutions massives et des déplacements forcés de civils alaouites". Ces rapports ont déclenché une vague de condamnations internationales et ont soumis le gouvernement syrien à une pression croissante pour qu'il demande des comptes aux responsables.
Pression des États-Unis et de l'Europe
Face à la multiplication des rapports faisant état de "crimes systématiques contre les minorités", les États-Unis et leurs alliés européens se sont empressés de faire pression sur le gouvernement d'al-Charaa pour qu'il prenne des mesures concrètes afin de garantir qu'il n'y ait pas d'impunité.
Le secrétaire d'État américain Marco Rubio a qualifié les événements de "massacre qui ne peut être toléré", appelant à "une enquête internationale indépendante pour identifier les responsables de ces crimes". Washington a également averti que "tout échec de la justice pourrait exposer le gouvernement syrien à des sanctions américaines".
Pour sa part, l'Union européenne a publié une déclaration ferme soulignant que "si les auteurs des massacres ne répondent pas de leurs actes sur le site , le soutien politique et économique au nouveau gouvernement sera suspendu". La France et l'Allemagne ont également demandé l'inclusion d'observateurs internationaux dans toute commission d'enquête afin d'en garantir la transparence.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a appelé à une enquête internationale impartiale, notant que "les commissions nationales n'offrent pas toujours des garanties suffisantes d'indépendance et de justice".
Face à ces pressions, le gouvernement d'al-Charaa s'est retrouvé dans une position délicate, car il devait prendre des mesures pour contenir la crise sans paraître complètement soumis aux exigences internationales.
Un véritable pas en avant ou une simple réponse à la pression internationale ?
Pour tenter de reprendre l'initiative, al-Charaa a annoncé la formation d'un comité national indépendant chargé d'enquêter sur les événements survenus sur la côte, soulignant que le gouvernement "n'hésitera pas à demander des comptes à toute personne dont l'implication dans des crimes contre des civils a été prouvée".
Cette annonce a toutefois été accueillie avec un grand scepticisme par les organisations internationales et les groupes de défense des droits de l'homme, certains estimant que la commission n'était pas réellement indépendante et que son objectif était d'absorber l'indignation internationale sans réellement demander des comptes aux personnes impliquées.
Bien qu'il ait d'abord salué l'annonce, le département d'État américain a souligné que "toute enquête n'incluant pas la participation d'experts internationaux sera insuffisante" et qu'il "suivra de près la mise en œuvre du travail de la commission et de ses conclusions".
Dans le même temps, la France et l'Allemagne ont souligné qu'elles "ne reconnaîtront pas les résultats d'une enquête qui ne serait pas soumise au contrôle de l'ONU" et ont noté que "le gouvernement de transition syrien a un intérêt direct à disculper certains acteurs".
Au niveau des organisations de défense des droits humains, Human Rights Watch et Amnesty International ont exprimé de sérieux doutes sur la capacité de la commission à travailler librement, estimant qu'elle "manque d'impartialité, car elle comprend des personnalités proches des services de sécurité".
En revanche, Moscou et Pékin ont salué la formation de la commission, estimant que"la Syrie est capable d'enquêter sur les événements sans ingérence extérieure", ce qui divise encore davantage les positions internationales sur la question.
Le gouvernement d'al-Charaa parviendra-t-il à rétablir la confiance ?
Alors que le débat sur l'intégrité de l'enquête se poursuit, al-Charaa est confronté à un véritable défi : convaincre la communauté internationale du sérieux de la commission, d'autant plus que tout échec à fournir des résultats transparents et crédibles pourrait exacerber l'isolement international du gouvernement de transition.
Face à ces développements, le gouvernement d'al-Charaa a trois options principales :
- poursuivre les travaux du comité interne sans contrôle international, ce qui pourrait accroître le scepticisme international et l'exposer à des pressions politiques et économiques plus fortes
- accepter la participation d'observateurs de l'ONU, ce qui pourrait l'aider à gagner en légitimité internationale, mais pourrait ouvrir la porte à des critiques internes de la part des partisans de la ligne dure au sein du gouvernement
- remettre à plus tard l'obtention de résultats tangibles, en espérant que l'intérêt de la communauté internationale pour la question s'estompera avec le temps, ce qui constitue une stratégie potentiellement risquée
Les changements rhétoriques du gouvernement d'al-Charaa après les événements survenus sur la côte syrienne reflètent la dynamique de la politique post-conflit, où la réaction à la pression internationale devient un facteur décisif dans l'élaboration des politiques intérieures. Mais la question la plus importante demeure : la commission aboutira-t-elle à une véritable justice ou ne sera-t-elle qu'un outil politique destiné à alléger la pression ?
L'avenir nous dira si le gouvernement al-Charaa est sérieux dans sa volonté de tenir ses promesses, s'il peut gagner la confiance de la communauté internationale ou s'il se retrouvera confronté à un isolement croissant, reproduisant les erreurs du passé sous une nouvelle forme.