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Que peut faire l'Europe face à l'influence croissante de la Russie dans le Sahel africain ?

Des partisans du capitaine Ibrahim Traore brandissent un drapeau russe dans les rues de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 2 octobre 2022.
Des partisans du capitaine Ibrahim Traore brandissent un drapeau russe dans les rues de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 2 octobre 2022. Tous droits réservés  AP Photo/Sophie Garcia
Tous droits réservés AP Photo/Sophie Garcia
Par Gregory Holyoke
Publié le
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La France a récemment été exhortée à quitter le Tchad et ses relations en Afrique centrale et occidentale sont de plus en plus tendues. Alors que l'influence russe s'étend dans la région, Euronews s'interroge sur l'avenir de l'Europe au Sahel.

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"Vladimir Poutine est venu combattre en Afrique dans les années 1950, 1960 et 1970", déclare l'influenceur camerounais Franklin Nyamsi à ses centaines de milliers de followers dans une vidéo partagée sur de multiples plateformes.

"Il a participé à la lutte contre l'impérialisme occidental. J'espère que vous le savez".

Rien ne prouve pourtant que le président russe se soit rendu en Afrique à cette époque, et encore moins qu'il ait combattu les puissances coloniales. Né en 1950, Vladimir Poutine était encore enfant pendant la majeure partie de cette période.

Pourtant, ces faits n'ont pas empêché la désinformation de se répandre comme une traînée de poudre, en particulier dans les anciennes colonies françaises du Sahel, où le Kremlin utilise des méthodes de plus en plus insidieuses pour jouer sur les sentiments anticoloniaux afin de poursuivre ses intérêts.

Les réseaux sociaux remplissent le vide laissé par les médias traditionnels

Joseph Siegle, directeur de la recherche au Centre africain du ministère américain de la Défense, estime que l'approche de Moscou est multiple et que les réseaux sociaux jouent un rôle essentiel.

S'adressant à Euronews depuis Washington, Joseph Siegle explique que "dans les environnements où il n'y a pas d'ensemble établi de médias de confiance, on constate une explosion de réseaux sociaux non réglementés et non filtrés", ce qui, selon lui, est particulièrement répandu dans le Sahel.

Selon les Nations unies, la région du Sahel comprend dix pays d'Afrique centrale et occidentale, et 400 millions de personnes y habitent. Sur ces dix pays, huit ont été colonisés par la France et presque tous n'ont obtenu leur indépendance que dans les années 1960.

Le français est largement parlé dans tous ces pays, ce qui signifie que la portée et les messages des commentateurs et influenceurs francophones franchissent souvent facilement les frontières entre les anciennes colonies françaises.

Cependant, le colonialisme n'est plus un sujet d'actualité et Joseph Siegle soutient que l'héritage colonial s'est largement effacé de la vie politique.

"J'aimerais rappeler aux gens que le colonialisme a pris fin il y a 60 ans. Il n'a pas fait partie du discours électoral récent", affirme l'expert, avant d'ajouter que, pour de nombreux régimes nationaux du Sahel, l'Europe est restée un partenaire privilégié depuis la fin de la colonisation.

La France, en particulier, a maintenu des liens politiques profonds et des relations commerciales privilégiées avec ses anciennes colonies en Afrique, dans le cadre d'une politique quelque peu floue connue sous le nom de "Françafrique".

Elle a également stationné des milliers de soldats dans de multiples bases au Sahel. Ce nombre s'est multiplié en 2013 lorsque la France et d'autres pays européens ont envoyé des renforts pour combattre une série d'insurrections extrémistes dans la région.

Joseph Siegle estime que les relations franco-africaines ont été largement positives jusqu'à récemment, lorsqu'une série de coups d'État a mis en place des juntes pro-Moscou dans toute la région.

Dégradation des relations

Cependant, les choses ne sont pas si simples aux yeux de Delphine Djiraibe, éminente avocate et militante tchadienne des droits de l'Homme.

Elle estime que la montée en puissance de la Russie est intrinsèquement liée à la colère profondément ancrée contre la France dans la région et au soutien historique de Paris à des gouvernements qui, selon elle, étaient tout sauf démocratiques.

Au cours d'un appel téléphonique avec Euronews depuis la capitale N'Djamena, l'avocate a expliqué que "la colonisation a peut-être changé de forme", mais que le pays est resté "sous le joug de la France jusqu'à pratiquement aujourd'hui".

Delphine Djiraibe souligne que le Tchad dispose d'un code juridique français, comme la plupart des autres pays francophones de la région, mais que ces codes ne sont pas respectés dans la région ou par Paris.

"La France est toujours présentée comme le pays des droits de l'Homme", déplore-t-elle, "mais lorsque les exécutions extrajudiciaires se multiplient, lorsque les populations sont soumises à des traitements cruels, inhumains et dégradants, la France ne se manifeste pas".

"Non seulement elle ne se lève pas, mais elle soutient les pouvoirs dictatoriaux qui répriment les populations", accuse Delphine Djiraibe.

Le président français Emmanuel Macron se recueille devant le cercueil du défunt président tchadien Idriss Deby lors des funérailles nationales à N'Djamena, le 23 avril 2021.
Le président français Emmanuel Macron se recueille devant le cercueil du défunt président tchadien Idriss Deby lors des funérailles nationales à N'Djamena, le 23 avril 2021. AP Photo/Christophe Petit Tesson

À titre d'exemple, elle cite le discours du président français Emmanuel Macron lors des funérailles de l'ancien président tchadien Idriss Déby en 2021, au cours duquel il a qualifié le défunt dirigeant autoritaire d'"ami courageux" avant de faire l'éloge du fils et héritier politique d'Idriss Déby, Mahamat, pour avoir apporté la "stabilité".

Pourtant, en l'espace d'un an, les relations avec le Tchad et l'ensemble de la région se sont dégradées. La France a retiré sa force de 1 000 hommes du Mali en août 2022 et, à la fin de l'année 2023, le Burkina Faso et le Niger ont également chassé la présence militaire française.

Puis, lors d'une altercation diplomatique spectaculaire qui a éclaté fin 2024, Emmanuel Macron a reproché à la région de n'avoir jamais "remercié" la France d'y avoir déployé des troupes. Le jeune Mahamat Déby a alors exigé que la France se retire également du Tchad.

La Russie se présente comme le nouvel allié de l'Afrique

Selon Joseph Siegle, la Russie profite de la grogne contre la France pour s'immiscer de plus en plus dans les sphères politiques et sociales des États du Sahel. Moscou a notamment placé de nombreux militaires russes au sein de la garde présidentielle de plusieurs dirigeants sahéliens.

Jusqu'à récemment, ces déploiements militaires étaient en grande partie le fait de sociétés militaires privées (SMP) soutenues par le Kremlin, sous l'égide du groupe de mercenaires Wagner, dirigé par Evgueni Prigojine.

L'ancienne ambassadrice de Géorgie auprès de l'UE, Natalie Sabanadze, a déclaré à Euronews que cela permettait à la Russie de nier son implication "de manière plausible", alors que Moscou essayait encore de s'attirer les faveurs de la diplomatie internationale.

Des fleurs sont déposées devant une statue en hommage au défunt leader du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, à Bangui, en République centrafricaine, le 5 mars 2024.
Des fleurs sont déposées devant une statue en hommage au défunt leader du groupe Wagner, Evgueni Prigojine, à Bangui, en République centrafricaine, le 5 mars 2024. AP Photo/Sam Mednick

Cependant, après que la Russie a lancé son invasion de l'Ukraine en 2022, une grande partie de cette prétention s'est dissipée. Puis, lorsqu'Evgueni Prigojine a mené les mercenaires de Wagner à la révolte un an plus tard en Ukraine - et a ensuite été tué dans un accident d'avion, que de nombreux observateurs internationaux imputent au Kremlin - Natalie Sabanadze affirme que la Russie a supprimé le peu d'autonomie dont disposaient les SMP au Sahel.

Joseph Seigle explique que cette tendance s'inscrit dans un contexte plus large où "la Russie a de nombreux partenaires et alliés et l'Europe et l'Occident perdent de l'influence", deux facteurs qui ont été exacerbés par l'invasion de l'Ukraine par la Russie et les retombées qui s'en sont suivies.

"Le discours anticolonialiste de la Russie à l'égard du Sud en général, y compris l'Afrique, n'a pratiquement pas été remis en question", explique Natalie Sabanadze, ce qui a permis à Moscou non seulement d'évincer les forces françaises et européennes sur place, mais aussi de s'y implanter.

"Les Russes sont vraiment populaires dans beaucoup de ces endroits. Ils ne sont pas perçus comme des mercenaires qui viennent exploiter les ressources", poursuit-elle

Joseph Siegle estime cependant que l'implication de la Russie n'est rien d'autre qu'une "transaction" et affirme que "les forces russes ne sont pas là pour combattre les djihadistes, mais pour protéger le régime et divers sites miniers".

S'attaquer aux problèmes sous-jacents

Pourtant, des signes de mécontentement à l'égard de la Russie commencent à apparaître dans les pays du Sahel.

Début avril, des manifestations anti-russes ont éclaté dans la République centrafricaine voisine contre l'utilisation par le gouvernement de milliers de soldats russes de l'opération Wagner.

Les partis d'opposition de la République centrafricaine manifestent dans les rues de Bangui pour protester contre les mercenaires de Wagner, le 4 avril 2025
Les partis d'opposition de la République centrafricaine manifestent dans les rues de Bangui pour protester contre les mercenaires de Wagner, le 4 avril 2025 Jean Fernand Koena/AP Photo

Si les pertes subies par la Russie dans sa guerre en Ukraine et la chute de son allié Bachar al-Assad en Syrie ont poussé Moscou à tenter d'étendre sa sphère d'influence mondiale, elles ont également créé des vulnérabilités qui pourraient permettre à l'Europe de renouer des liens avec les pays du Sahel.

Toutefois, Joseph Siegle et Delphine Djiraibe mettent tous les deux en garde contre une approche à court terme qui conduirait à courtiser les régimes mêmes qui se sont tournés vers le Kremlin pour obtenir de l'aide.

"Il est certain que cela présente un certain intérêt à court terme", admet le chercheur. "Il vaut mieux avoir des juntes que des djihadistes au pouvoir, mais cela ne s'attaque à aucune des sources sous-jacentes d'instabilité dans ces pays", à savoir le manque de stabilité financière et de soutien aux groupes de la société civile.

"Nous ne nous attaquons jamais au problème de fond", affirme également Delphine Djiraibe, qui appelle à moins d'intervention de la part de toutes les parties.

"Il n'est pas nécessaire de venir et de dominer. Si on nous laissait nous gérer nous-mêmes, nous serions capables d'élire des dirigeants et de les sanctionner si nécessaire. Le mécanisme est là".

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