L'ancien dirigeant de Ioukos, anciennement emprisonné, rejoint plus de 19 000 personnes physiques et 823 organisations sur la liste officielle des "extrémistes et terroristes". Environ 300 personnes y sont ajoutées chaque mois, dont une sur dix est âgée de moins de 18 ans.
L'ancien dirigeant de la compagnie pétrolière russe Ioukos, Mikhaïl Khodorkovski, qui vit en exil après avoir purgé une peine pour des crimes économiques qui a largement été vue comme prix de son opposition farouche à Vladimir Poutine (comme c'était le cas plus tard du feu Alexeï Navalny), vient d'être inscrit mercredi le 19 novembre sur la liste officielle des "extrémistes et terroristes", selon le site de Rosfinmonitoring.
L'ancien député de la Douma, Dmitri Goudkov ; Konstantin Tchoumakov, virologue, professeur à l'université George Washington et conseiller auprès de l'Organisation mondiale de la santé, ainsi que l'historien Iouri Pivovarov le rejoignent sur cette liste qui est vite devenu un instrument préféré du Kremlin afin de juguler même l'ombre restante de la dissidence et du libre penser.
Le 14 octobre, le Service fédéral de sécurité russe (FSB, ex-KGB) a annoncé avoir ouvert une nouvelle procédure pénale à l'encontre de Khodorkovski et d'un certain nombre de membres du "Comité anti-guerre de Russie" (dont Goudkov et Pivovarov), une ONG considérée comme "indésirable" dans le pays - une précédente étiquette préférée pour labelliser les opposants, maintenant visiblement devenue "trop soft" aux yeux du Kremlin.
Mikhaïl Khodorkovski a également été poursuivi en vertu de l'article sur les appels publics à mener des activités terroristes.
Auparavant, Rosfinmonitoring a déjà inclus dans le registre des "terroristes et extrémistes" plusieurs membres du Comité, à savoir l'ancien Premier ministre russe Mikhaïl Kassianov, le galeriste Marat Guelman, le politicien Vladimir Kara-Mourza, l'homme d'affaires Yevgeny Chichvarkin, l'écrivain Victor Chenderovitch, l'ancien champion du monde en échecs Garry Kasparov, la politologue Iekaterina Schulmann et d'autres personnes estampillées par l'appareil de l'Etat comme "agents de l'étranger".
Le Comité anti-guerre de Russie a été fondé par un groupe de personnalités publiques et d'activistes civils russes le 27 février 2022, après le début de l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine.
Le manifeste du groupe déclare qu'il "unit les Russes opposés à la guerre", ses objectifs sont d'arrêter la guerre et de s'opposer au régime de Vladimir Poutine, que l'organisation considère comme dictatorial. De nombreux membres du mouvement ont quitté la Russie après le début de l'invasion à grande échelle de l'Ukraine.
En janvier 2024, le bureau du procureur général de Russie a accordé au Comité anti-guerre le statut d'organisation dite indésirable. Cela signifie que ses activités sont interdites en Russie et que la responsabilité administrative et pénale est envisagée en cas de coopération avec cette organisation.
La liste de Rosfinmonitoring s'allonge d'année en année
Aujourd'hui, la liste des "terroristes et extrémistes" comprend 19158 personnes et 823 organisations. Selon une enquête de Novaya Gazeta Europe, environ 300 personnes sont ajoutées à la liste chaque mois, et un dixième d'entre elles a moins de 18 ans.Depuis le début de l'année 2024, le nombre d'ajouts à la liste a considérablement augmenté, alors qu'aucun changement officiel n'a été annoncé.
Selon les défenseurs des droits de l'homme, les personnes qui font seulement l'objet d'une enquête, mais contre lesquelles nble jugement n'a pas encore été rendu, sont ajoutées à la liste de plus en plus souvent.
Depuis décembre 2024, la liste peut inclure des suspects et des personnes condamnées pour des crimes violents "motivés par la haine", ainsi que des articles répressifs sur les "faux" et le "discrédit" de l'armée (qui punissent tout information véridique sur la guerre en Ukraine - et même l'utilisation du mot "guerre" pour ce le la novlangue krémlinienne appelle pudiquement "une opération militaire spéciale") ; en été 2025, le sabotage a été ajouté à la liste des motifs.
C'est notamment en raison du verdict sur les "faux" sur les agissements de l'armée russe en Ukraine qu'un réputé historien de la cuisine russe Pavel Syutkin a été ajouté à cette liste.
Depuis 2023, notent les observateurs, la part des Ukrainiens dans la liste des "terroristes" a augmenté : elle est passée de 5 à 21 %. Dans le même temps, la part des résidents du Caucase du Nord dans cette liste a diminué pour atteindre 10 %.
Ainsi, selon le média d'opposition "Vyorstka", la liste des terroristes et des extrémistes exclut désormais les combattants des forces spéciales tchétchènes "Akhmat", qui avaient été condamnés précédemment en vertu d'articles terroristes (puisqu'ils combattaient à l'époque le régime de Moscou), mais qui font partie des détachements réguliers russes en Ukraine maintenant ce qui les rend "intouchables".
Au cours de l'année 2025 incomplète (jusqu'à la mi-octobre), 3 031 personnes y ont été ajoutées, soit une moyenne de 319 par mois.
L'inscription sur la liste, une "mort civile"
Introduite dans le cadre de la loi "sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme" du 6 août 2015, la liste des terroristes et des extrémistes est établie par Rosfinmonitoring sur la base des informations reçues du bureau du procureur général, du Comité d'enquête, du ministère de la Justice, du FSB et du ministère de l'Intérieur.
Officiellement, cette liste est destinée à bloquer l'argent des accusés, mais de facto, elle est utilisée pour engager des poursuites extrajudiciaires contre les détracteurs des autorités russes, a déclaré Amnesty International. Selon cette ONG, avec le début de l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine en février 2022, le problème a atteint un nouveau niveau : les autorités russes utilisent de plus en plus la criminalisation de la justification publique du terrorisme pour persécuter leurs détracteurs et entraver le discours public.
L'inscription sur la liste complique la vie au niveau national : ces personnes n'ont pas le droit de dépenser plus de 10 000 roubles par mois, d'utiliser des cartes bancaires, d'acheter et de vendre des biens et d'hériter de biens. L'inscription d'une personne sur la liste de Rosfinmonitoring se fait sans aucune garantie procédurale sous la forme d'un contrôle judiciaire ou d'une réelle possibilité d'appel et entraîne de graves conséquences économiques en raison de la restriction des dépenses à hauteur de 10 000 roubles par mois, ce qui, selon les militants des droits de l'homme d'Amnesty International, constitue une forme de punition extrajudiciaire. Ses participants qualifient le fait de se retrouver sur cette liste de "mort civile".
La procédure de retrait de la liste est extrêmement compliquée : pour ce faire, il faut mettre fin à une affaire pénale ou à des poursuites pénales, annuler un verdict du tribunal ou effacer un casier judiciaire. Les personnes devraient également être retirées de la liste des "terroristes et extrémistes" après leur mort, mais en raison de procédures bureaucratiques compliquées, même le retrait des personnes décédées peut prendre de six mois à un an (Alexeï Navalny figurait toujours sur la liste à la fin de l'année 2024 après sa mort en février de cette année).
Les banques européennes : un "enthousiasme excessif" envers des Russes et des Bélarusses persécutés
Paradoxalement, les citoyens russes et bélarusses qui sont persécutés pour des raisons politiques dans leur pays et qui figurent sur ces listes sont en danger en Europe. Selon DW, il s'agit le plus souvent du résultat d'une prudence excessive des institutions financières, qui cherchent à éviter d'être accusées d'avoir violé le régime des sanctions t qui veulent faire des économies sur des vérifications de conformité bancaire .
Ainsi, le fondateur de l'éditeur sportif en ligne Tribuna.com, Dmitri Navosha, s'est vu bloquer ses comptes personnels et professionnels après avoir été condamné par contumace au Bélarus en 2022 pour "incitation à l'hostilité" et avoir été inscrit sur la liste des terroristes du KGB bélarusse.
Au cours de l'été 2025, la banque en ligne Revolut a bloqué les comptes de trois employés de la Fondation anti-corruption (FBK, créée par Navalny), qui est déclarée "organisation extrémiste" en Russie, et à l'automne, elle a fait de même avec le compte de l'homme politique Dmitry Goudkov.
Dans les deux cas, cependant, Revolut a rapidement débloqué les comptes après que leurs propriétaires ont dénoncé le blocage sur les réseaux sociaux et dans les médias.
La raison en est que les organisations de conformité, chargées de vérifier que leurs clients ne sont pas impliqués dans des affaires de corruption, de blanchiment d'argent et de terrorisme - à savoir Dow Jones Risk & Compliance, World-Check (qui fait partie du London Stock Exchange Group, LSEG) et LexisNexis, - utilisent principalement des sources accessibles au public, tels que décisions de justice, registres officiels, listes nationales de terroristes et d'extrémistes.
Ils affirment qu'ils n'ont pas le droit de contester les décisions des tribunaux russes ou bélarusses. Dow Jones Risk & Compliance n'a pas répondu à la question de DW sur la manière dont ces entreprises vérifient et interprètent les informations provenant de pays où les tribunaux peuvent rendre des jugements motivés par des considérations politiques.
Selon Dmitry Navosha, "il s'agit essentiellement d'un transfert à l'Ouest de la répression que les dictatures font subir aux gens" dans leurs pays.
Jeudi dernier, le 13 novembre, le Parlement européen a approuvé un rapport d'initiative appelant à l'élaboration de mesures efficaces pour contrer la répression transnationale et à tout mettre en œuvre pour mettre fin aux meurtres, enlèvements et persécutions de militants politiques par des régimes autoritaires sur le territoire de pays tiers, y compris l'UE.