Selon une étude réalisée par l'Insee, plus une personne a un niveau de vie élevé, plus elle a de chance de vivre longtemps. À Euronews, la cheffe de la division enquêtes et études démographiques à l'Insee a expliqué pourquoi le niveau de vie influait tant sur l'espérance de vie.
Ces dernières décennies, l'espérance de vie moyenne en France a eu tendance à augmenter. Si elle était, au milieu des 1990, de 81,9 ans pour les femmes et de 73,8 ans pour les hommes, elle est désormais de 85,6 ans pour les femmes et de 80 ans pour les hommes, selon l'Institut national de la statistique et des études économique (Insee).
Pour autant, ces années gagnées ne sont pas toujours vécues en bonne santé. En 2023, à 65 ans, les hommes pouvaient espérer vivre 10,5 ans sans incapacité. Les femmes, quant à elles, vivaient en moyenne jusqu'à 77 ans en bonne santé, selon les données de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Dress).
Ces chiffres doivent toutefois être nuancés : l'espérance de vie n'est pas la même pour tous. C'est ce que précise une nouvelle étude de l'Insee, publiée ce lundi 15 décembre. Car en réalité, le niveau de vie (le revenu disponible dans un ménage pondéré en fonction du nombre de personnes qui y vivent) joue beaucoup sur le nombre d'années que pourra vivre une personne.
Vivre pauvre, mourir plus tôt ?
"Plus on est aisé, plus l’espérance de vie est élevée", affirme, d'emblée, cette nouvelle étude, qui montre qu'une femme appartenant aux 5 % les plus aisés peut espérer vivre jusqu'à 88,7 ans, contre 80,1 ans pour les 5 % aux revenus les plus faibles.
Pour les hommes, l'écart est encore plus important : un homme aisé aura, en moyenne, 13 ans de plus d'espérance de vie qu'un homme aux revenus modestes.
Chloé Pavan, cheffe de la division enquêtes et études démographiques à l'Insee, apporte deux hypothèses pour expliquer ces résultats. "Il y a un effet direct du niveau de vie sur la santé qui favorise l'accès aux soins", explique-t-elle à Euronews. Et pour cause, la Direction de la sécurité sociale indique qu'en 2023, 3,2 % des personnes aux revenus les plus modestes ont renoncé à des examens médicaux pour des raisons financières, contre 1,8 % de la population globale. Pour les soins dentaires, les personnes les moins aisées ont été 9,1 % à renoncer à des examens pour la même raison, contre 5,1 % de la population globale.
Il y a également un effet indirect sur la santé, "car le niveau de vie peut être associé à d'autres caractéristiques comme la catégorie socioprofessionnelle ou le diplôme qui ont une influence positive sur l'état de santé et sur l'exposition plus ou moins élevée aux accidents et aux maladies professionnelles", explique l'experte.
Elle souligne également que les comportements à risque sont plus fréquents chez les personnes sans diplôme."Par exemple, 21 % des adultes sans diplôme ou avec un diplôme inférieur au baccalauréat fument quotidiennement, contre seulement 13 % des diplômés du supérieur", explique l'étude.
Enfin, un faible niveau de vie peut aussi résulter d'une mauvaise santé, note l'Insee, qui explique qu'une "santé défaillante peut freiner la poursuite d'étude, l'exercice d'un emploi ou l'accès aux emplois les plus qualifiés".
L'espérance progresse moins vite que le niveau de vie
Concrètement, à 50 ans, "le risque de décès est sept fois plus élevé pour les hommes appartenant aux 5 % les plus modestes que pour les 5 % les plus aisés", poursuit Chloé Pavan. Pour les femmes, la situation est similaire : à 55 ans, le risque de décès est six fois plus supérieur pour celles ayant un niveau de vie modeste que pour les plus aisées.
Surtout, l'étude révèle que l'espérance de vie progresse moins vite que le niveau de vie."Aux alentours de 1 200 euros par mois, 100 euros de niveau de vie supplémentaires sont associés à 0,8 an en plus d’espérance de vie chez les femmes et 1 an chez les hommes. Autour de 2 000 euros par mois, le gain d’espérance de vie n’est plus que de 0,2 an chez les femmes et 0,4 an chez les hommes. Il atteint seulement 0,1 an et 0,2 an autour de 3 000 euros par mois", est-il expliqué.
Les plus aisés vivent de plus en plus longtemps
Surtout, l'étude de l'Insee révèle que les écarts d'espérance de vie entre les plus aisés et les plus modestes se creuse. La différence est passée de 8,3 ans en 2012-2016 à 8,7 ans en 2020-2024 chez les femmes et de 12,7 ans à 13 ans chez les hommes pour la même période. "Les écarts se sont accrus par le haut parce que les gains d'espérance de vie ont été plus élevés chez les plus aisés et que pour les plus modestes, ces gains sont plus faibles, voire négatifs", explique la chercheuse.
"L’accroissement de l’écart d’espérance de vie entre les personnes modestes et aisées signifie que la part des causes de décès les plus inégalitaires socialement a augmenté entre 2012-2016 et 2020-2024, et/ou que certaines causes de décès" sont devenues davantage influencées par le niveau social, indique l'étude de l'Insee.
L'épidémie de Covid-19 pourrait être l'une des réponses, la maladie étant "inégalitaire du point de vue social", mais "il ne faut pas lire uniquement cette évolution avec ce prisme-là", tempère Chloé Pavan. Car la période étudiée a également été marquée par une mortalité élevée également liée à une grippe très meurtrière et des épisodes de fortes chaleurs.
Où en France risque-t-on le plus de mourir ?
L'Insee s'est également attardé sur les probabilités de décès dans les différentes régions françaises. "L'idée était de montrer quel pouvait être le rôle des écarts de niveau de vie dans les différences que l'on pouvait faire entre les régions", explique la cheffe de la division enquêtes et études démographiques à l'Insee.
En ne prenant en compte que le sexe et l'âge, c'est en Île-de-France que la probabilité de décéder dans l'année est la plus faible, suivie d'Auvergne-Rhône-Alpes et de Provence-Alpes-Côte d'Azur, alors qu’elle est la plus élevée dans les Hauts-de-France.
"Les écarts de niveau de vie entre régions expliquent en partie ces différences. [...] Des différences culturelles (habitudes alimentaires..), comportementales (tabagisme...), environnementales (pollution...) ou encore des disparités relatives à l’offre de soins peuvent expliquer ces écarts", décrit l'étude.
Surtout, cela montre que le classement des régions peut changer "une fois que l'on tient compte des différences de richesse entre elles", souligne Chloé Pavan. Lorsqu'on intègre le niveau de vie, l'Île-de-France se place en dessous de la région de référence. Si l'espérance de vie est plus élevée dans la région parisienne, "c'est qu'il y a plus de personnes aisées qui y vivent", explique-t-elle. Autrement dit, c'est le niveau de vie plus élevé qui explique la plus longue durée de vie de ses habitants.