Le film de la semaine : Le Serment de Pamfir, un film puissant venu d'Ukraine

Le Serment de Pamfir, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk
Le Serment de Pamfir, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk Tous droits réservés Condor Distribution
Par Frédéric Ponsard
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Le Serment de Pamfir est certainement l'une des révaltions cinématographiques de 2022. Un récit réaliste qui bifurque vers le mythe et fantastique, avec pour toile de fond une Ukraine rurale très peu explorée au cinéma. Un coup de maître.

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"Le Serment de Pamfir", Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk (Ukraine/France/Pologne/Chili/Luxembourg, Allemagne, 1h40)

Avec Oleksandr Yatsentyuk, Stanislav Potiak, Solomiya Kyrylova

Au nom du fils

Il y a des films qui vous font l’effet d’un uppercut au bas ventre, et "Le Serment de Pamfir"en fait partie. Le premier film d’un cinéaste ukrainien dont on reparlera certainement, et qui nous emmène aux confins de son pays, où les frontières sont floues entre le bien et le mal, légalité et clandestinité, mythes et réalités. Un grand film.

Le film commence avec une apparition animale, presque bestiale, du fond d’une étable. La créature est un homme, affublé d’un costume étrange, aux accents vaudou, et qui appelle avec insistance un certain Nazar. Un adolescent arrive et ôte le masque de la créature : derrière ce cache un père visiblement parti depuis longtemps. La scène s’accompagne d’une lumière dorée qui illumine la grange, accompagnant le bonheur familial des retrouvailles avec le revenant. Sous le nom de Pamfir se cache un homme, dur comme le roc (le nom "Pamfir" désigne la pierre en ukrainien), le visage affuté à la serpe et le regard fixe et déterminé. La séquence suivante est au diapason : une scène virtuose qui nous embarque plusieurs minutes dans un plan-séquence, certainement l’un des plus beaux vus cette année, à renfort d’un travelling circulaire improbable et labyrinthique qui ne se contente pas seulement de suivre Pamfir en nous permettant de scruter son visage et ses expressions qui s’adoucissent, mais aussi d’embrasser l’environnement autour de lui et découvrir ce que l’on devine être l’antre familiale, une femme aimante et un fils adolescent dont on devine dans ses yeux toute l’admiration qu’il porte au père revenu.

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Le Serment de Pamfir, Dmytro Sukholytkyy-SobchukCondor Distribution

C’est par ce fils pourtant, que Pamfir va être mis à l’épreuve. Peu après le retour de son père, Nazar, par ailleurs enfant de cœur, va en effet provoquer un incendie qui ravagera l’église du village afin que son père ne reparte pas travailler à l’étranger et reste au pays pour les fêtes de Noël qui approche. Un drame que Pamfir portera sur ses épaules pour protéger son fils, en s’engageant à réparer les dégâts. Pour cela, il va revenir à ce qu’il avait juré d’abandonner : la contrebande avec la Roumanie toute proche. Pamfir devra naviguer en eaux troubles et frayer avec la mafia locale où pouvoir économique et politique se mêlent harmonieusement. Les ombres du passé vont alors ressurgir irrémédiablement pour Pamfir, rattrapé par ses fantômes, alors que le carnaval traditionnel de cette région rurale et superstitieuse de Transcarpatie prépare Malanka, une célébration du Nouvel an orthodoxe aux accents païens et paillards. Pour l’occasion, les habitants se déguisent en créatures fabuleuses, mi-humain, mi-animal, et le petit village des Carpates ukrainiennes va prendre des accents transylvaniens et « draculiens », nimbant le film d’une atmosphère effrayante et inquiétante à souhait dès que la nuit tombe.

Le Serment de Pamfir vire donc du récit réaliste et familial à quelque chose qui tient plus du conte fantastique, une sorte de mythe d’Abraham inversé, avec un père qui accepte de se sacrifier et se confronter à ses démons afin de ne pas obérer l’avenir de son fils. Pour un premier long métrage, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk fait preuve d’une maturité et d’une maîtrise totale de son sujet. Ajoutez à cela la découverte de régions aux confins de l’Europe peu explorées au cinéma, magnifiés par une photographie éblouissante (que l’on retrouve dans les courts métrages du réalisateur et notamment Weighlifter multirécompensé dans les festivals européens et mondiaux en 2019), une interprétation et une direction d’acteurs sans faille, de la mère paysanne au politicard véreux et adipeux, et vous obtiendrez l’un des films les plus puissants ce cette fin d’année. 

Après avoir été révélé à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, alors que la guerre en Ukraine venait d'être déclenchée par la Russie depuis trois mois, le film vient d'être nommé pour le European Discovery Award, récompensant le meilleur premier film européen de l'année. Un cinéaste est né. A ne pas manquer.

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