Les Britanniques sous haute surveillance !

Les Britanniques sous haute surveillance !
Par Valérie Gauriat
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Au Royaume-Uni, une nouvelle loi donne aux autorités des pouvoirs de surveillance sans précédent sur les données personnelles des citoyens. Et suscite une levée de boucliers.

Au Royaume-Uni, la nouvelle loi de surveillance de masse dite des pouvoirs d’investigation fait débat. Ce texte qui vise à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme donne la possibilité à des autorités de surveillance d’accéder aux données personnelles de la population. Des pouvoirs jugés excessifs par les ONG, mais aussi par la Cour européenne de justice qui en décembre dernier, a condamné cette rétention généralisée et indiscriminée des données.

Dans une vidéo tournée dans les rues de Londres par l’ONG de défense des droits civiques britannique Liberty, on découvre de manière cocasse les conséquences de la nouvelle loi de surveillance de masse, dite des pouvoirs d’investigation, en vigueur au Royaume-Uni.
Une comédienne aborde les passants avec un téléphone doté d’une petite parabole et prétend ainsi mettre la main sur le contenu de leurs téléphones portables, leurs données de communication ou se connecter à leur compte bancaire. Ses “victimes” sont incrédules et inquiètes.

Dans les faits, la nouvelle loi de surveillance de masse, surnommée “loi des fouineurs”, vise à renforcer la lutte contre le crime organisé et le terrorisme et permet aux services de police et de renseignement, mais aussi à une quarantaine de services publics allant de l’agence de sécurité alimentaire aux services de santé ou aux caisses de retraite, d’accéder aux données personnelles de la population. Du jamais vu.

“Des milliers de personnes surveillées sans le savoir”

“Nos données de communication – à qui on envoie des mails, qui on appelle, à qui on envoie des sms, quand, et toute notre activité sur internet – peuvent être accessibles même sans suspicion de crime grave”, souligne Silkie Carlo, l’une des porte-parole de Liberty. “Les autorités de surveillance ne sont même pas obligées d’identifier leurs cibles, donc la police et les agences de renseignement peuvent pirater un ordinateur ou des milliers d’ordinateurs sans avoir à identifier les personnes visées”, poursuit-elle. De plus, elles ne sont pas tenues de informer ces gens qu’ils ont fait l’objet d’une surveillance ; donc, il va y avoir des milliers de personnes qui pourront être surveillées, on pourra faire intrusion dans leur vie privée, pirater leur téléphone, intercepter leurs appels, elles n’en sauront rien et ne le sauront jamais,” s’indigne-t-elle.

£50,000 – what a response! Thank you! Pls continue to donate & share & help challenge the #snooperscharterhttps://t.co/phPJSX2xjspic.twitter.com/LFZk3NTwLu

— Liberty (@libertyhq) 16 janvier 2017

Parmi les mesures les plus controversées, il pourra être exigé des opérateurs, notamment des fournisseurs d’accès à internet de conserver pendant un an l’historique de navigation de tous les internautes. Des pouvoirs jugés excessifs en décembre dernier par la Cour européenne de justice qui a condamné la rétention généralisée et indiscriminée des données. Ce jugement pourrait contraindre le gouvernement britannique à revoir sa copie tant que le Brexit n’est pas consommé.

Pour quelle efficacité ?

David Anderson, l’examinateur indépendant de la législation anti-terroriste britannique, a été chargé d‘évaluer l’utilité des nouveaux pouvoirs. “Tous les pouvoirs que la police et les services de renseignement exercent ou veulent exercer dans ce pays sont maintenant stipulés très clairement, noir sur blanc, dit-il. Ce n‘était pas le cas auparavant et ce n’est pas le cas non plus dans la plupart des pays dans le monde, affirme-t-il avant d’ajouter : “D’après mes conclusions, qui s’appuient sur une soixantaine d‘études de cas, ces pouvoirs sont vraiment utiles : par exemple, dans la cyberdéfense contre les puissances étrangères hostiles, lors de prises d’otages, ou dans les enquêtes sur des disparitions et bien sûr, dans les enquêtes sur des crimes graves.”

L’efficacité de la surveillance de masse fait débat.
En 2013, l’assassinat en pleine rue du soldat britannique Lee Rigby par deux extrémistes islamistes avait choqué l’opinion. Les deux hommes étaient connus des services de renseignement qui détenaient des communications détaillant leur projet macabre. Les informations n’avaient pas été repérées. Plusieurs rapports confidentiels divulgués par le lanceur d’alerte Edward Snowden l’ont souligné : la masse des données et les capacités de surveillance dont disposent les agences de renseignement dépasse de loin leur capacités à les traiter, et ce depuis des années.

“Qu’il s’agisse des services de renseignement, de la police, comme le célèbre Scotland Yard, ou du ministère de l’Intérieur, les portes sont restées fermées à nos demandes d’interview”,explique notre reporter Valérie Gauriat. “Tout comme celles du tribunal dit des pouvoirs d’investigation, chargé d’enquêter sur les abus des forces de police et de renseignement. Même son adresse est tenue secrète. Ce qu’on sait, c’est que ces dernières années, le nombre de plaintes n’a cessé de grimper et avec la nouvelle loi, les juges risquent d’avoir de plus en plus de travail.”

The UK has just legalized the most extreme surveillance in the history of western democracy. It goes farther than many autocracies. https://t.co/yvmv8CoHrj

— Edward Snowden (@Snowden) 17 novembre 2016

La fin des lanceurs d’alerte ?

La surveillance policière accompagne la vie de Jason Parkinson depuis des années. Son travail de journaliste lui a valu d‘être fiché comme “terroriste national” par la police britannique, sur une base de données secrète, avec plusieurs de ses confrères. Ils ont pu accéder à leurs dossiers, au titre de la loi britannique de protection des données et intenté une action en justice contre la Metropolitan Police. Au sein du syndicat national des journalistes britanniques, Jason Parkinson milite contre une loi qui dit-il, menace la profession et ses sources.

“Le renseignement devrait se concentrer sur les choses qui représentent vraiment une menace pour la population et pour le pays”, dit-il. “Espionner les gens juste parce qu’ils demandent des comptes au gouvernement, c’est s’avancer sur une pente très glissante. Le plus grave, c’est que les lanceurs d’alerte n’auront plus aucune protection. Ils vont craindre de contacter un journaliste pour dénoncer quelque chose qui ne va pas, parce qu’ils auront peur de se faire prendre.”

Les moyens de contournement existent

Outre son caractère intrusif, la loi est coûteuse et techniquement, complexe à mettre en oeuvre, dénoncent de leur côté les opérateurs de téléphonie et les fournisseurs d’accès à internet.
Et son efficacité discutable, souligne l’un de ceux qui fustigent la loi des fouineurs. Cryptage, réseaux privés virtuels, services cachés, les moyens de contourner la surveillance sont connus, notamment des journalistes, des militants des droits de l’homme, mais aussi des malfaiteurs. Et le marché, à l’usage du grand public, se développe, fait remarquer Adrian Kennard, directeur d’Andrews & Arnold Ltd.

“Il y a un vrai risque que tout cet argent dépensé ne serve à rien, il est facile de voir comment les criminels peuvent contourner tout cela et les gens ordinaires qui s’inquiètent du non-respect de leur vie privée apprendront à le faire aussi”, assure-t-il. “La meilleure chose que l’on puisse faire en tant que fournisseur d’accès à internet, c’est essayer d’informer et d‘éduquer nos clients, on peut les aider à crypter leurs mails et on ne fait pas cela contre le gouvernement, lance-t-il. Le gouvernement et les criminels sont du même côté de la barrière : il essaie de fouiner dans nos communications et d’intercepter ce qu’on fait , donc les méthodes sont les mêmes, que l’on veuille se protéger des criminels ou se protéger de telles pratiques,” déplore-t-il.

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