Témoignages : quatre Russes donnent leur point de vue sur la guerre en Ukraine

Quatre Russes donnent leur avis à Euronews sur l'invasion de l'Ukraine par Moscou
Quatre Russes donnent leur avis à Euronews sur l'invasion de l'Ukraine par Moscou Tous droits réservés Anastasia Trofimova
Par Anastasia Trofimova
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Ils sont Russes ; ils ont 28 ans, 49 ans, 20 ans, 45 ans et ont des points de vue différents sur la guerre en Ukraine. Anastasia Trofimova les a rencontrés dans les rues de Moscou et a recueilli leurs témoignages.

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"Les gars, où est la manifestation principale ?" demande Ksenia, 28 ans ; la jeune femme est descendue dans la rue pour protester pour la première fois de sa vie. Il est 21 heures à Moscou et la police a déjà dispersé la majeure partie des rassemblements. Comme toute personne portant des signes ostensiblement contre la guerre est immédiatement arrêtée, les manifestants se promènent tranquillement jusqu'à ce qu'une foule suffisamment nombreuse soit rassemblée pour crier son opposition à ce qui se passe en Ukraine.

Deux femmes d'âge moyen glissent un "Non à la guerre !" à la police avant de s'enfuir en riant nerveusement.

"Au travail, allez !", ordonne le policier à ses subordonnés. Trois jeunes policiers s'élancent alors dans la rue mais ne trouvent pas vraiment de cible . Ils repèrent finalement un homme le traînent jusqu'au fourgon de police avant de réaliser qu'il est juste très ivre. Il le relâchent.

Les manifestants avancent lentement dans les petites rues, en suivant les dernières informations échangés dans des canaux Telegram dédiés. Des convois de fourgons de police tentent de les suivre à la trace. C'est un jeu du chat et de la souris. La nuit se termine avec un homme de 39 ans qui fonce en voiture sur les barrières de police de la place Pouchkine avec des pancartes "C'est la guerre !" et "Debout, peuple !". La voiture prend feu ; l'homme est arrêté.

Au sixième jour de la guerre en Ukraine, il y a eu plus de 6 000 arrestations lors de manifestations anti-guerre à travers la Russie.

Anastasia Trofimova
KseniaAnastasia Trofimova

"La nuit de (l'invasion), j'étais vraiment de bonne humeur", se souvient Ksenia. "Mon amie et moi fêtions le 23 février" (Journée du défenseur de la patrie ou, plus communément, Journée de l'homme).
"Nous étions dehors, à boire du vin et à chanter sur les balançoires. À 6h05, Forbes a annoncé que Poutine avait déclaré le début de l'opération militaire. Et c'est tout. Mon monde s'est coupé en deux entre en un avant et un après. "

Ksenia travaille dans les relations publiques et parle sans détour. "Poutine est fou. Aucune personne saine d'esprit ne ferait une chose pareille. L'Ukraine persévérera. En attendant, on va être dans la merde."

"Ça a été long à venir"

"Vous n'êtes pas un de ces libéraux, n'est-ce pas ?" demande Yuri, 49 ans. Il n'est pas un fan des manifestants anti-guerre comme Ksenia.

Anastasia Trofimova
YuriAnastasia Trofimova

" Je suis contre la guerre. Mais pour être honnête, cela fait longtemps qu'elle se prépare. Le problème ne vient pas de l'Ukraine, mais de ces Anglo-Saxons qui s'insinuent en nous. Il suffit de regarder ce qui est arrivé aux pays dans lesquels ils sont entrés, comme la Syrie. Et maintenant, ils essaient de nous atteindre (en créant des conflits internes) via l'Ukraine. Par conséquent, je pense que tout cela est justifié et juste."

Les libéraux que Yuri déteste lui répondraient en le traitant de "victime de la boîte à zombies", la télévision d'État. Cette division idéologique traverse de nombreuses familles russes. Cependant, le sentiment de Yuri est trop commun pour qu'on puisse le considérer comme une folie marginale.

La peur de l'OTAN était et reste très réelle en Russie. Les exemples de la Yougoslavie et de la Libye, deux États bombardés par les forces de l'OTAN, sont utilisés pour alimenter la crainte que la Russie ne soit la prochaine. La veille du début de la guerre, le président Vladimir Poutine a rappelé à la nation les promesses de la Seconde Guerre mondiale de ne pas étendre l'OTAN vers l'est et a déclaré que ces promesses n'avaient pas été tenues à cinq reprises. Le rapprochement de l'Ukraine avec l'OTAN a exacerbé ces craintes.

Yuri est l'un de ceux qui voient les événements à travers le prisme de la peur. "Si on m'appelle, j'irai", dit-il. "Les Russes n'ont pas peur de l'armée. Nous avons tous des enfants. Au moins, mes enfants seront protégés".

Que pense-t-il des sanctions contre la Russie ? "Notre peuple a toujours été soumis à un certain type de sanctions. Nous sommes habitués à cela. Si on a survécu pendant la faim et les sièges, on s'en sortira encore cette fois."

Anastasia Trofimova
NikitaAnastasia Trofimova

Il fait beau ; les gens prennent des selfies sur la Place Rouge, tandis qu'un long convoi de bus de la Garde nationale roule devant les murs du Kremlin. D'autres manifestations sont attendues.

Nikita, 20 ans, raconte à Euronews : "Je suis surtout contre la guerre. Mais je ne sais pas ce que j'aurais fait à la place du gouvernement. Si la guerre n'avait pas commencé maintenant, alors peut-être que cinq ou six ans plus tard, l'Ukraine aurait pu rejoindre l'OTAN et les conséquences auraient été bien différentes pour notre pays. Bien sûr, je me sens vraiment mal pour les gens ordinaires qui ne peuvent pas influencer les décisions de leur gouvernement." Voulez-vous dire les Russes ou les Ukrainiens, demande-t-on à Nikita. "Nous tous. Nos gars meurent là-bas et les Ukrainiens aussi."

Anastasia Trofimova
OlesyaAnastasia Trofimova

"Je suis contre la guerre", affirme Olesya, 45 ans, qui a la plupart de ses proches dans la région séparatiste du Donbass. "Mais je pense que cela aurait dû être fait en 2014 et que nous n'aurions pas la guerre aujourd'hui. Où était l'Occident, avec toutes ses préoccupations humanitaires, lorsque les Ukrainiens ont bombardé les habitants du Donbass ?"

La guerre dans l'est de l'Ukraine a éclaté en 2014 après l'annexion de la Crimée par la Russie. Ensuite, deux régions séparatistes du Donbass, Donetsk et Louhansk, ont déclaré leur indépendance vis-à-vis de Kyiv. Cela a déclenché un conflit entre les forces ukrainiennes et les séparatistes soutenus par la Russie, faisant des victimes des deux côtés.

Aujourd'hui, même si des Russes justifient l'invasion de l'Ukraine, il n'y a eu aucune manifestations en soutien à l'offensive. Au contraire, les personnes qui descendent dans la rue sont celles qui s'y opposent, malgré les menaces d'arrestation. La plupart des Russes ont de la famille et des amis en Ukraine.

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"La guerre est toujours affreuse. La guerre ne mène jamais à rien de bon et ne le fera pas cette fois-ci non plus", dit Tonya, 18 ans, qui porte un sac avec une pancarte "Non à la guerre" cousue à la main.

"J'ai peur et j'ai mal pour mes amis ukrainiens, qui m'écrivent : 'Nous allons descendre dans l'abri antiatomique'". Nous plaisantons ensemble. Je lui demande : "La matinée a été explosive, n'est-ce pas ?" ce à quoi elle répond : "C'était tout simplement bombastique" avant d'ajouter, "Ces trois derniers jours, j'ai dormi 10 heures au total. Le reste du temps, je pleure".

Une guerre avec un pays ayant des liens historiques et culturels parmi les plus forts de la région avec la Russie semblait risible, ridicule, absurde aux yeux de beaucoup. Jusqu'au 24 février 2022. L'attaque de Vladimir Poutine contre l'Ukraine a pris, en ce sens, la plupart des Russes par surprise.

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