L'Union européenne peut-elle expulser un pays membre ?

Certains pays membres contestent les valeurs fondamentales de l'UE
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Par Alice TideyEuronews
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Si les États membres peuvent décider de quitter l'UE, il est beaucoup plus difficile pour les institutions européennes d'exclure un Etat du projet commun.

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Des procédures de l’UE sont en cours contre la Pologne et la Hongrie pour violation de l'État de droit. La Commission européenne a aussi décidé d’enclencher un nouveau mécanisme contre Budapest afin de suspendre le versement des fonds européens. Toutefois ces différentes mesures ne semblent pas faire infléchir les pays concernés. Dans ces conditions l'Union pourrait-elle expulser un État membre ?

La réponse courte est : non. La réponse plus précise serait : cela prendrait des années de négociation et échouerait très probablement.

L'explication est simple : l'UE n'a tout simplement pas prévu cette possibilité.

"Juridiquement parlant, nous n'avons pas l'appareil nécessaire pour expulser un État membre, contrairement au Conseil de l'Europe par exemple où la Russie a été expulsée il y a quelques semaines", explique à Euronews Adam Lazowski, professeur de droit européen à l'université de Westminster.

De 6 à 27

L'UE est née d'un projet de paix alors que le Vieux Continent tentait de renaître des cendres laissées par la Seconde Guerre mondiale.

L'idée était alors de créer des liens économiques plus étroits entre les pays afin de dissuader ses membres de se lancer dans d’éventuels conflits. La Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) a donc vu le jour formellement en 1952 avec pour membres fondateurs : l'Allemagne (de l’Ouest à l’époque), la France, l'Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg.

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Le traité de Paris en 1951 établit la naissance de la CECA qui verra le jour en 1952EC - Audiovisual Service

L'expansion économique rapide des années 1960, la chute des dicatures en Espagne, en Grèce et au Portugal dans les années 1970, les changements de société déclenchés par les manifestations de 1968, la crise pétrolière de 1973 et l'effondrement du communisme ont fait évoluer le projet commun.

La Communauté européenne, devenue plus tard l’Union européenne, est passée de 6 à 27 pays. Ce projet commun n'est plus seulement guidé par des préoccupations économiques mais aussi par des valeurs démocratiques.

Le dernier élargissement remonte à 2013 avec l’adhésion de la Croatie. Mais depuis l’UE a perdu l’un de ses membres.

Le Royaume-Uni a déclenché en mars 2017 l'article 50 du traité sur le fonctionnement de l’UE, soit neuf mois après le référendum britannique sur la sortie de Londres du projet commun. Le Brexit est devenu réalité en 2020 après d’âpres négociations et sans régler toutes les interrogations.

D’autres événements politiques bouleversent l’UE depuis plusieurs années. La montée et l’enracinement des partis populistes ouvertement hostiles au projet européen déstabilisent les institutions.

Le frein de l’unanimité

Le Fidesz en Hongrie et le parti Droit et Justice (PiS) en Pologne sont dans la ligne de mire en raison de réformes qui restreignent l'indépendance de la justice, la liberté d’informer et qui portent atteinte à la société civile, aux droits des migrants, des femmes et des minorités.

La Cour de justice de l’UE a invariablement donné raison à la Commission européenne. Mais sur le terrain, rien ne semble changer.

La Commission européenne a lancé en 2017 la procédure de l’article 7 du traité sur le fonctionnement de l’UE à l’encontre de la Pologne. Les eurodéputés ont fait de même en 2018 contre la Hongrie. Ce processus est souvent présenté comme "l'arme atomique" institutionnelle puisqu’il peut entrainer une suspension du droit de vote d’un pays membre.

Mais la procédure est au point mort. Pour aller de l'avant, il faut l’unanimité des 27. Or le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, précise qu’avec " les Polonais, nous sommes dans une alliance défensive mutuelle."

"Nous ne permettrons pas que l'autre soit exclu du processus décisionnel européen", ajoute-t-il.

AP Photo/Darko Vojinovic
Le Premier ministre hongrois et le dirigeant du parti Droit et justice au pouvoir en PologneAP Photo/Darko Vojinovic

Face à cette impasse, les eurodéputés ont fait pression pour la création d'un autre instrument punitif : le mécanisme de conditionnalité sur l'État de droit. Cet outil, validé en février 2022 par la justice européenne, permet de suspendre les fonds de l'UE aux États membres s'ils portent atteinte aux valeurs fondamentales.

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé au début du mois qu'elle prévoyait de déclencher prochainement ce mécanisme à l'encontre de la Hongrie.

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La responsable allemande n’a cependant pas précisé quels critères seront utilisés et quelle somme pourrait être retenue. Le mécanisme actuel a été édulcoré par rapport à la proposition initiale. La Hongrie et la Pologne ont en effet menacé de mettre leur veto lors des négociations relatives au budget de l’UE.

L'UE devra dire non

Les deux pays brandissent de façon voilée une éventuelle sortie de l’UE dans le but de déstabiliser l’UE encore sous le choc du Brexit.Toutefois une telle issue semble peu probable.

"L'ensemble du fonctionnement du régime (de Viktor) Orban, qui repose sur la corruption stratégique et l'abus des fonds européens, ce système politique n'est pas opérationnel en dehors de l'UE", précise à Euronews Daniel Hegedus, chercheur au German Marshall Fund.

Zsolt Enyedi, professeur et chercheur à l'Institut de la démocratie de l'Université d'Europe centrale, va dans le même sens : "Je ne pense pas que (Viktor) Orban quittera volontairement l'UE, principalement pour des raisons financières."

"Mais je pense qu'il peut créer une situation dans laquelle l'UE n'aura pas d'autre choix que d'expulser la Hongrie", estime-t-il. "De nombreuses agences de notation qui surveillent la qualité de la démocratie considèrent la Hongrie comme une non-démocratie, et elles le font en raison de divers faits sur le terrain."

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"Si (Viktor) Orban continue sur cette voie, il y aura un moment où il sera évident que nous avons un régime comme celui de Vladimir Poutine au sein de l'UE, certes pas en violence mais en terme d'idéologie et de mentalité, et alors l'UE devra dire non à cela", ajoute Zsolt Enyedi.

Beaucoup de naïveté

Pourtant, il n'existe aucune clause ou article de ce type dans les traités car "l'UE est fondée sur l'État de droit et sur la présomption que tous ses États membres se conforment à ces éléments clés", explique Adam Lazowski.

"Il y avait beaucoup de naïveté à croire que la politique de préadhésion pouvait faire des miracles et qu'ensuite les réformes seraient gravées dans le marbre. Mais comme nous l'avons vu en Hongrie, et surtout en Pologne, les choses peuvent s'effilocher très, très rapidement", constate le professeur.

Concrètement, si l’UE voulait s'engager dans cette voie, elle devrait très probablement exiger une révision des traités pour ajouter une telle procédure.

L'article 50, par exemple, a été intégré dans le traité de Lisbonne, adopté en 2007 et entré en vigueur en décembre 2009. Les travaux de révision avaient commencé dès 2001.

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Une fois réformé, le traité devra être approuvé à l'unanimité des États membres, ce que les gouvernements dans le collimateur de l'UE rejetteraient très probablement.

"Il était vraiment naïf de ne pas inclure une procédure comme celle que nous avons au Conseil de l'Europe, l'article 8 du statut du Conseil de l'Europe, qui lui permet d'expulser la Russie", précise Adam Lazowski.

Ce que veulent les électeurs

En fin de compte, pour l’UE le meilleur scénario serait que les électeurs mettent ces gouvernements au pied du mur à travers l’élection de dirigeants plus favorables à l'UE.

L'annonce d’Ursula Von der Leyen sur le déclenchement du mécanisme sur l'État de droit à l'encontre de la Hongrie est intervenue deux jours après le quatrième succès électoral du Premier ministre hongrois.

En Hongrie, les partis d'opposition se sont regroupés pour présenter un front anti-Orban. Mais briser l'héritage du Fidesz demeure très difficile.

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Jean-Francois Badias/AP
Ursula von der Leyen annonce le lancement de la procédure de conditionnalité sur l'Etat de droitJean-Francois Badias/AP

"Au cours des dernières années, les règles et règlements ont été modifiés de telle sorte que pratiquement tous les décideurs, ceux qui dirigent le système judiciaire, la commission électorale, les médias, le sport, le divertissement, les universités et tous les secteurs de la vie auxquels vous pouvez penser, ont des mandats qui durent huit, dix, douze ans ou parfois à vie", signale Zsolt Enyedi.

Il ajoute qu’un nouveau gouvernement ne serait pas "en mesure d'écarter ces personnes. Ces personnes continueront à décider de ce qui est important" et à "faire ce que veut (Viktor) Orban".

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