L'UE et l'Ukraine pourront-elles vraiment récupérer les avoirs russes gelés ?

Des gardes civils devant le yacht "Tango" à Palma de Majorque en Espagne, le 4 avril 2022
Des gardes civils devant le yacht "Tango" à Palma de Majorque en Espagne, le 4 avril 2022 Tous droits réservés AP Photo/Francisco Ubilla
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Par Alice Tidey
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Washington et Bruxelles sont favorables à l'utilisation des avoirs russes gelés par les sanctions pour financer la résistance et/ou la reconstruction de l'Ukraine, mais cela voudrait dire entamer un parcours du combattant juridique qui pourrait prendre des années.

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Washington et Bruxelles ont dit être favorables à l'utilisation des avoirs russes gelés par les sanctions pour financer la résistance et/ou la reconstruction de l'Ukraine, mais cela voudrait dire entamer un parcours du combattant juridique qui pourrait prendre des années.

Le président du Conseil européen Charles Michel a indiqué à l'agence de presse Interfax-Ukraine jeudi dernier qu'il était "absolument convaincu que c'est extrêmement important non seulement de geler les avoirs, mais aussi de rendre possible leur confiscation, afin de les rendre disponibles pour le pays qui se reconstruit."

Mais il a également reconnu que la saisie des avoirs des personnes sanctionnées "n'est pas si simple" et qu'il s'agirait probablement d'un "processus long et difficile." Il a indiqué avoir chargé le service juridique du Conseil européen d'examiner la question.

Ces déclarations sont intervenues une semaine après que le président américain Joe Biden a appelé le Congrès à accélérer l'adoption d'une législation permettant de confisquer et de vendre les biens des personnes sanctionnées pour "aider à construire l'Ukraine."

L'ONG American Civil Liberties Union qui vise à défendre les droits garantis par la Constitution américaine a toutefois averti que cette mesure serait "anticonstitutionnelle." D'autres experts juridiques ont émis des réserves similaires sur ce projet.

Des centaines de milliards d'euros gelés

"Nous sommes en quelque sorte en territoire inconnu ici," a souligné à euronews, Ian Bond, directeur de la politique étrangère au sein du think tank Centre for European Reform (CER).

Pourtant, a-t-il ajouté, "il y a des chances que l'Ukraine puisse un jour être en mesure de tirer de l'argent de ces actifs gelés. Mais ce serait vraiment compliqué et cela prendrait probablement beaucoup de temps," a-t-il renchéri.

En théorie, les avoirs gelés en raison des sanctions peuvent le rester indéfiniment. Pour les débloquer, il faudrait que la personne ou l'entité sanctionnée réussisse à contester la décision devant les tribunaux ou bien que les victimes mènent leur propre bataille juridique pour recevoir une partie des avoirs gelés à titre de compensation.

Dans le cas de l'Ukraine, les pays occidentaux ont sanctionné à la fois, les agences d'État, les responsables officiels et les entreprises publiques russes, ainsi que les oligarques et les entreprises privées qui selon eux, ont aidé Moscou à financer et à mener son invasion.

Il est difficile d'évaluer les montants gelés, mais selon des estimations, ce sont 300 milliards de dollars (l'équivalent de 283 milliards d'euros) de réserves de change de la Banque centrale russe qui ont été gelés à travers le monde.

L'Union européenne a annoncé début avril que sa task force "Gel et confiscation" ("Freeze and Seize") avait gelé des actifs d'une valeur de 29,5 milliards d'euros dont des bateaux, hélicoptères, biens immobiliers et œuvres d'art, et bloqué environ 196 milliards d'euros de transactions.

Le Royaume-Uni a quant à lui déclaré avoir gelé 500 milliards de livres sterling (583 milliards d'euros) provenant de banques ou d'entreprises russes dont certaines appartiennent en partie à l'État, mais aussi 150 milliards de livres sterling (175 milliards d'euros) d'avoirs d'oligarques et de membres de leurs familles.

Actifs publics ou actifs individuels

"Je pense qu'il est beaucoup plus facile pour l'Ukraine ou les Ukrainiens qui ont souffert de cette guerre de prendre des mesures pour mettre la main sur les avoirs publics," a expliqué Ian Bond, "car il y a un lien très clair entre d'un côté, les décisions et les actions de l'État et de ses fonctionnaires et de l'autre, les avoirs qui ont été gelés."

Les démarches seront beaucoup plus simples pour l'Ukraine et les Ukrainiens si la Cour pénale internationale constate effectivement que la Russie a commis un génocide ou des crimes contre l'humanité
Ian Bond
Directeur de la politique étrangère au sein du think tank Centre for European Reform (CER)

"Si vous êtes l'État ukrainien ou des Ukrainiens à titre individuel, que vous avez un jugement de la Cour pénale internationale qui dit qu'un tort épouvantable vous a été causé - en l'occurrence, les torts les plus graves qui peuvent être commis par un État -, alors il est un peu plus aisé de se tourner vers d'autres juridictions et tribunaux et de dire : 'Nous voulons faire appliquer ce jugement'," a-t-il poursuivi.

La Banque centrale russe pourrait elle envisager une action en justice pour récupérer ses réserves de change, même si le fait qu'elles soient détenues dans de nombreuses juridictions différentes lui compliquera la tâche.

La complexité des voies juridiques européennes

Selon le directeur de la politique étrangère au CER, Bruxelles rend de telles démarches particulièrement difficiles.

"Dans le cas de l'UE, vous vous pouvez vous adresser à la Cour européenne de justice et l'expérience des personnes qui ont essayé d'obtenir la levée de sanctions à leur encontre, généralement en rapport avec le soutien au terrorisme, montre qu'il est assez difficile de gagner," a-t-il indiqué.

"Et même si vous gagnez, il vous sera extrêmement difficile d'obtenir le déblocage de vos avoirs car la Commission a tendance à reformuler la base du gel des avoirs pour répondre aux objections soulevées par le tribunal plutôt que de restituer les avoirs," a ajouté le spécialiste.

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Mais si les autorités européennes, américaines ou ukrainiennes peuvent être en mesure de mener des batailles juridiques pour confisquer ces avoirs d'État gelés dans l'objectif d'aider l'Ukraine à se reconstruire, il sera sans doute beaucoup plus complexe de réclamer les avoirs des oligarques et des membres de leur famille. La charge de la preuve sera probablement beaucoup plus difficile à respecter. "Prouver un lien entre les actions criminelles en Ukraine et le yacht de quelqu'un est assez difficile à faire," a souligné Ian Bond.

Le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy a affirmé il y a quelques jours que son pays aura besoin d'au moins 600 milliards de dollars pour se reconstruire.

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