L'innovation au secours du patrimoine européen

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Par Denis LoctierStéphanie Lafourcatère
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Si nous ne faisons rien, une grande partie de notre patrimoine pourrait dépérir avant la fin du siècle sous l'effet de menaces diverses, des processus climatiques aux taches microscopiques. La science peut-elle venir en renfort ? Découvrons deux projets européens particulièrement prometteurs.

Dans cette édition spéciale de Futuris, nous découvrons deux projets de recherche européens particulièrement prometteurs pour la préservation du patrimoine. Ils proposent de nouvelles méthodes d'analyse des phénomènes de dégradation notamment liés au changement climatique et des techniques de restauration innovantes.

"Les quartiers historiques comme celui de Gubbio en Italie font la fierté des villes où ils se trouvent et l'admiration des touristes qui les visitent," fait remarquer notre reporter Denis Loctier avant d'ajouter : "Mais il se pourrait bien que le changement climatique menace leur conservation."

Le Palais des Consuls datant du XIVe siècle est l'un des édifices les plus emblématiques de Gubbio. Il abrite des expositions artistiques et archéologiques. Mais les fissures qui lézardent ses murs suscitent une inquiétude croissante : son sous-sol semble instable. Peut-être à cause du changement climatique qui s'accompagne de pluies de plus en plus fortes et fréquentes.

La menace est prise très au sérieux par la municipalité. "Gubbio est une cité de pierre : c'est un matériau des plus précieux pour nous, nous devons le placer sous surveillance constante," insiste Filippo Mario Stirati, maire de Gubbio.

La menace tombe du ciel

Les scientifiques du projet européenHeracles étudient les effets du changement climatique sur les monuments historiques. Leurs méthodes ? L'observation par satellite qui détecte les mouvements de terrain, le balayage électromagnétique ou encore le prélèvement d'échantillons comme avec cet outil de perçage sensible à la pression.

"Tout d'abord, cet échantillon nous renseigne sur la dureté de la pierre," précise Giannis Grammatikakis, spécialiste de la préservation à l'Université de Crète qui participe au projet Heracles. "La prochaine étape, c'est l'analyse chimique des résidus du perçage qui nous donnera la composition minéralogique de la pierre avec la présence possible d'éléments dus à l'érosion comme les sels solubles," explique-t-il.

À Gubbio qui se situe à flanc de colline, on connaît parfaitement les effets dévastateurs de la pluie. Dans le passé, des pans de l'enceinte de l'ancienne ville se sont déjà écroulés lors de glissements de terrain. Les intempéries ont fragilisé le mortier et les pierres sont tombées au sol. Ce qui reste des fortifications est aujourd'hui surveillé de près.

"Ces trois dernières années, on a eu de nombreux évènements climatiques extrêmes, les pluies ont été bien supérieures à la moyenne," indique Francesco Tosti, ingénieur civil à la municipalité. "Cela affecte la structure des murs qui de ce fait, doit être renforcée," souligne Francesco Tosti, ingénieur civil à la municipalité.

Les assauts de l'érosion par la mer

Et il n'y a pas qu'à Gubbio que les chercheurs veulent en savoir plus sur les menaces climatiques.

"Les aléas climatiques sont particulièrement menaçants dans les zones côtières riches en monuments anciens comme Koules, la forteresse vénitienne d'Héraklion," nous montre notre reporter Denis Loctier.

La forteresse subit les assauts de l'érosion depuis sa construction au XVIe siècle. Mais là où le changement climatique entre en ligne de compte, c'est qu'il modifie la direction du vent et la configuration des vagues.

Quels effets sur la structure de l'édifice ? Les scientifiques que nous rencontrons cherchent des indices au fond de la mer.

"Notre sonar nous permet de comprendre la situation sous la mer : sur les images, on voit très bien les cavités dans la partie immergée des fortifications," déclare Stelios Petrakis, océanographe côtier au sein de la fondation FORTH-IACM, partenaire du projet Heracles. "En répétant les études dans cette zone, on peut observer comment ces cavités évoluent dans le temps : de cette façon, on peut surveiller ce qui change dans les dégâts liés à l'érosion," affirme-t-il.

Les chercheurs ont installé au fond de la mer, des capteurs qui enregistrent en permanence la température de l'eau et la hauteur des vagues. Deux fois par an, ils plongent pour aller récupérer les données que leurs instruments ont emmagasinées.

Avec le changement climatique, les bâtiments en pierre pourraient se dégrader plus vite

"On a besoin de ces données pour réaliser une modélisation numérique de la manière dont les vagues altèrent la forteresse de Koules : il faut que l'on sache la quantité d'énergie que la forteresse reçoit avec les vagues," souligne George Alexandrakis, océanographe côtier au sein de FORTH-IACM. "En rapprochant ces informations de mesures effectuées dans le passé, on peut faire des projections à court et long terme et prévoir comment l'énergie délivrée par les vagues évoluera du fait du changement climatique," poursuit-il.

Une fois les données copiées, les chercheurs mettent de nouveau en place leurs capteurs pour une nouvelle session de surveillance de six mois.

Des phénomènes de dégradation peuvent aussi être détectés à l'intérieur de la forteresse. Un instrument braque sur la surface du mur, un laser puissant transformant quelques-unes de ses molécules en un plasma qui ensuite, subira une analyse chimique.

"Le chlorure de sodium - le sel - s'accumule à la surface du mur : c'est l'un des effets de la mer sur la forteresse," fait savoir Panagiotis Siozos, physicien à la fondation IESL-FORTH. "L'eau pénètre dans le mur et change sa structure chimique, ce qui a aussi un impact significatif sur le monument," insiste-t-il.

Les autorités locales utilisent les données des scientifiques pour savoir comment mieux préserver le site. Avec le changement climatique, les bâtiments en pierre pourraient se dégrader plus vite faisant augmenter le coût de leur préservation.

"Nous avons déjà mené une vaste campagne de restauration ici et nous voulons continuer de surveiller l'état de l'édifice pour savoir quand de nouvelles mesures seront nécessaires," indique Vassiliki Sythiakakis, directrice de l'Ephorie des antiquités d'Héraklion. "Nous avons besoin de savoir comment protéger ce monument pour les 500 prochaines années," lance-t-elle dans un sourire.

Restaurer la restauration

Associé au mythe du Labyrinthe du Minotaure, le Palais de Knossos a été en partie restauré il y a une centaine d'années grâce à du béton armé. Aujourd'hui, les événements climatiques extrêmes fragilisent le ciment et font rouiller les barres d'acier.

"Notre projet de recherche a pour but de créer de nouveaux matériaux et de les mettre à disposition des restaurateurs," dit Elisabeth Kavoulaki, archéologue pour l'Ephorie des antiquités d'Héraklion. "Ainsi, nous aboutirons à une solution adaptée à ce monument en particulier, ce qui nous aidera à mieux protéger ce site patrimonial," assure-t-elle.

L'équipe a développé un nouveau mortier en ajoutant des nano- et microparticules qui renforcent la résistance aux intempéries et un nouveau ciment similaire à celui utilisé à l'origine, mais moins poreux. Ainsi, l'air ne peut pas s'y engouffrer aussi facilement.

"Ces résultats pratiques sont transférables directement sur le site archéologique qui est l'un des plus importants, des plus significatifs en Europe, le site marquant de la première civilisation de dimension européenne dans le bassin méditerranéen," insiste Giuseppina Padeletti, coordinatrice du projet Heracles et chercheuse en nanomatériaux au CNR-ISMN.

Le délicat nettoyage des œuvres

Venise est un autre trésor culturel menacé par le changement climatique. Parmi la série de défis à relever, il en est certains, à petite échelle, pour lesquels les nouvelles technologies peuvent être utiles.

Célèbre musée d'art moderne sur le Grand Canal, la collection Peggy Guggenheim présente des tableaux et sculptures des futuristes italiens et des modernistes américains.

L'emploi dans une partie de ces œuvres de techniques et matériaux expérimentaux rend leur préservation particulièrement délicate.

"Au XXe siècle, beaucoup de nouveaux matériaux ont été utilisés," indique Karole Vail, directrice de la collection avant d'ajouter : "Donc peut-être que cela complique un peu notre démarche comparé aux œuvres antérieures, mais c'est particulièrement important de s'en occuper pour le public et les générations futures," affirme-t-elle.

Aujourd'hui, ces précieuses toiles sont exposées sous verre - ce qui souvent, n'était pas le cas du temps de Peggy Guggenheim. Parfois, une partie de leur éclat d'origine a été perdu sous l'effet de l'accumulation de poussières et de salissures - d'ailleurs, très difficiles à retirer -.

"Ce tableau de Jackson Pollock," nous montre Luciano Pensabene Buemi, conservateur en chef de la Collection, "pose un problème de conservation parce que Pollock utilisait des aplats de peinture très épais et avec les années, la poussière s'est logée sur ces toiles et elle s'est solidifiée à leur contact."

Un hydrogel révolutionnaire

Pour résoudre ce problème, les conservateurs ont reçu l'aide de scientifiques travaillant sur un autre projet européen appelé Nanorestart. L'un des tableaux de Pollock au sein de la Collection a déjà été nettoyé grâce à cet hydrogel qu'ils ont spécifiquement développé.

"Le fait que ce gel soit très flexible nous permet de l'adapter à la surface, il épouse la forme de mes doigts," nous montre Maria Laura Petruzzellis, conservatrice et chercheuse au sein du projet. "Il est très élastique, il est facile à mettre en place et il ne va pas se déchirer quand on va l'enlever, il y a aussi le fait qu'il ne laisse aucun résidu sur la surface : ce qui est un grand avantage pour pouvoir protéger l'œuvre," poursuit-elle.

Contrairement aux méthodes traditionnelles comme les cotons-tiges, l'hydrogel ne dépose aucune fibre sur la surface du tableau lors du nettoyage. Il est sans danger pour la peau et le plus important : il retire la poussière rapidement et efficacement.

C'est un laboratoire de l'Université de Florence qui a développé l'hydrogel à partir de matériaux généralement utilisées dans les applications médicales comme pour les lentilles de contact. Un processus de production spécifique aboutit à la création de structures micro- et nanoscopiques à l'intérieur du gel.

"Ces deux types de structures sont importantes parce que le liquide qui est dans le gel doit s'écouler à travers ces canaux et entre les différentes cellules contenues dans le gel," explique Piero Baglioni, coordinateur du projet Nanorestart et président du département de chimie physique à l'Université de Florence. "En modifiant ces deux structures, on obtient les propriétés finales du gel," poursuit-il.

Multiples applications

Cette méthode a un autre intérêt que le simple nettoyage : l'hydrogel peut être imprégné d'un solvant, ce qui permet d'enlever délicatement un morceau de ruban adhésif d'une œuvre fragile sans endommager sa surface.

"Il est possible d'appliquer le gel et d'aboutir à une libération extrêmement lente du solvant," préciseAntonio Mirabile, restaurateur d'œuvres sur papier. "Ce qui donne au restaurateur plus de contrôle sur l'opération qu'il est en train de faire : en l'occurrence retirer du ruban adhésif," continue-t-il.

Le potentiel de ce gel nano-structuré dépasse le cadre de la restauration d'art : il peut par exemple, servir à retirer des revêtements de nombreux types de surfaces.

"On reçoit déjà des demandes de différents revendeurs qui voudraient avoir l'exclusivité de la distribution de ce produit en Europe, en Chine ou en Inde : on constate que le marché potentiel est suffisamment grand," reconnaît Piero Baglioni.

Des changements climatiques à l'échelle de la planète aux microscopiques taches de poussière, les scientifiques européens participent sur de nombreux fronts, à la défense de notre patrimoine artistique et historique.

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