Jean-Paul Costa: "Les relations entre les religions et les Etats sont devenues plus problématiques"

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Par Euronews
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Les droits de l’Homme en Europe, c’est la spécialité de Jean-Paul Costa. Ce magistrat français préside la Cour européenne des Droits de l’Homme, à Strasbourg. Une cour que peut aujourd’hui saisir tout citoyen des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe. Il y a tout juste soixante ans, au sortir de la Seconde guerre mondiale, les 10 Etats fondateurs signaient la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Christophe Midol-Monnet, euronews: Jean-Paul Costa, quel tableau dressez-vous de l‘état des Droits de l’Homme en Europe en cette fin 2010?

Jean-Paul Costa: Il y a une certaine dégradation due principalement à deux phénomènes. Les menaces terroristes, qui obligent les Etats européens à réagir dans le domaine de la sécurité. Et puis, aussi, la crise économique et financière, qui fait que beaucoup d’Etats ont maintenant des priorités économiques et sociales qui sont plus éloignées de la protection des droits et libertés. Mais enfin, globalement, le tableau n’est, heureusement, pas trop mauvais. Et notamment, les pays européens ne connaissent plus de régimes dictatoriaux et presque plus de guerres internes ou civiles. Et cela rejaillit sur les droits de l’Homme.

euronews: Les Européens accordent trop d’importance aux droits de l’Homme dans les relations internationales, entend-on on dire de plus en plus souvent ici et là. Qu’en pensez-vous?

Jean-Paul Costa: C’est vrai que très souvent, les Etats européens disent “il faut mettre en avant les droits de l’Homme, il faut que des pays extérieurs à l’Europe protègent les droits, abolissent la peine de mort, etc…”. Mais en réalité, lorsqu’il y a de véritables négociations économiques, commerciales, financières, on voit bien que ces déclarations vertueuses sont remises au placard. Donc, je crois qu’en fait, c’est l‘éternel problème. Si on veut faire de la politique internationale à court terme et si on met la barre trop haut en matière de standards européens, les pays importants avec lesquels l’Europe doit négocier risquent de se cabrer et c’est contre-productif.

euronews: Vous présidez la Cour depuis 2007. Quels grands dossiers ont-ils été traités depuis lors? Quels changements ont-ils été opérés?

Jean-Paul Costa: On voit de plus en plus d’affaires qui touchent les questions de biologie, de bioéthique, la procréation médicalement assistée, les problèmes d’adoption ou de mariage homosexuel… Enfin tous ces problèmes de société que les Etats résolvent plus ou moins bien au niveau national et qui viennent de plus en plus devant notre Cour. Et le deuxième problème, qui est assez intéressant aussi, c’est l’influence croissante des questions de religion, des rapports entre les religions et l’Etat. Nous avons actuellement rendu des jugements par exemple sur le foulard islamique. Certainement, il y aura le problème de la burqa dans certains pays. Nous avons déjà reçu des requêtes concernant les minarets en Suisse, qui ne sont pas encore jugées mais qui sont en cours. Et je pourrais citer beaucoup d’autres exemples, qui ne concernent pas d’ailleurs que l’Islam, mais plusieurs grandes religions qui sont pratiquées en Europe. Et un des problèmes qui est actuellement sur la table – l’audience a eu lieu à la fin du mois juin – c’est la présence de crucifix dans les classes d‘école en Italie. Alors vous voyez, tout cela, ce sont des dossiers qui n’existaient pas ou presque pas il y a cinq ou dix ans et qui montrent que la Cour européenne des Droits de l’Homme est maintenant sollicitée un peu sur tous les fronts.

euronews: Comment expliquez-vous la montée en puissance de ces dossiers de nature religieuse?

Jean-Paul Costa: Parce que d’une part les relations entre les religions et les Etats sont devenues plus problématiques, plus difficiles, plus tendues. Et d’autre part parce que souvent les Etats, les législateurs nationaux, les gouvernements, les parlements ont du mal à régler ces problèmes de façon satisfaisante et que donc, on se tourne vers la Cour européenne des Droits de l’Homme pour donner une sorte d’orientation générale. Ce qui n’est pas facile. C’est très passionnant, c’est très honorifique pour notre Cour d’avoir cette responsabilité. Mais je peux vous dire, dans ma pratique, dans notre pratique quotidienne, ce n’est pas toujours évident.

euronews: Quelle analyse faites-vous de la perspective que l’Union européenne adhère à la Convention européenne des Droits de l’Homme?

Jean-Paul Costa: Lorsque cela entrera réellement en vigueur, puisque le Traité de Lisbonne a décidé le principe de l’adhésion, et le protocole 14 de la Convention l’a confirmé – mais il reste à mettre en place les modalités pratiques, régler quelques problèmes juridiques non négligeables – lorsque ce sera véritablement en place, je pense que ce sera une bonne chose pour toute l’Europe, pour les 27 pays de l’Union européenne, pour les 47 pays du Conseil de l’Europe et finalement pour les 800 millions de citoyens européens qui auront un espace judiciaire et juridique consolidé.

euronews: Entre Convention européenne des Droits de l’Homme et Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, y a-t-il rivalité ou complémentarité?

Jean-Paul Costa: Plutôt complémentarité, parce que la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, qui a été élaborée en 2000 et qui vient elle aussi d’entrer en vigueur avec le Traité de Lisbonne, est une sorte de relecture plus moderne et plus complète de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Elle a traité, elle traite, des problèmes qui étaient inconnus il y a cinquante ou soixante ans, comme la protection de l’environnement, l’informatique, Internet ou encore justement les avancées, les progrès de la biologie, de la biomédecine. Et elle est aussi plus complète parce qu’elle touche à certains droits sociaux qui n‘étaient pas effleurés dans la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Donc, il y a une complémentarité. Cela ne veut pas dire nécessairement que notre Cour va être liée par la Charte des Droits fondamentaux de l’Union européenne, qui est pour l’espace des seuls Vingt-sept. Mais d’ores et déjà, nous nous inspirons de cette Charte toutes les fois qu’elle montre un progrès dans la protection des droits et libertés. C’est une source qui est un peu du “soft law”, parce que cela veut dire que ce n’est pas obligatoire ni contraignant pour notre Cour. Mais c’est une source d’inspiration très intéressante.

euronews: On célèbre ces temps-ci le soixantième anniversaire de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Comment imaginez-vous le rôle de la Cour dans soixante ans?

Jean-Paul Costa: Le scénario le plus raisonnable, même si soixante ans c’est très loin – je ne serai probablement pas là pour voir si j’avais raison aujourd’hui ou pas – cela consiste à dire que la Cour aura un rôle maintenu mais de plus en plus subsidiaire. C’est-à-dire qu’elle ne tranchera que les grands problèmes et que les Etats auront pris les mesures législatives ou judiciaires permettant de régler la plupart des questions plus secondaires en matière de droits et de libertés. Voilà le scénario qui me paraît raisonnablement optimiste et raisonnablement vraisemblable.

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