Centenaire 14-18 : à la découverte du monument aux morts pacifiste de Dardilly

Nicolas Beaupré, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Clermont Auvergne, devant le monument aux morts pacifiste de Dardilly, en novembre 2018
Nicolas Beaupré, maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Clermont Auvergne, devant le monument aux morts pacifiste de Dardilly, en novembre 2018 Tous droits réservés Vincent Coste / Euronews
Par Vincent Coste
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L'historien Nicolas Beaupré nous a livré tous les secrets de l'un des rares monuments aux morts en France s'opposant directement à la guerre.

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Entre 1920 et 1925, en France, des milliers de monuments aux morts ont été érigés. Mais dans ce vaste mouvement, rares furent ceux s’opposant directement à la guerre. A l'occasion de notre couverture du centenaire de la Première Guerre mondiale, nous nous sommes entretenus autour du monument aux morts singulier érigé à Dardilly, dans le banlieue de Lyon, avec Nicolas Beaupré,  maître de conférences en histoire contemporaine à l'Université Clermont Auvergne. Ce spécialiste du premier conflit mondial nous a livré tous les secrets de ce monument atypique appelant à la fraternité entre les peuples.

Nicolas Beaupré

"Ce monument aux morts est assez exceptionnel, très original, de par le message qu'il entend transmettre, qui est un message pacifiste sans ambiguïté ; ce qui est assez rare pour les monuments aux morts de la Première Guerre mondiale."

"Il y a quelques dizaines de monuments aux morts pacifistes en France et celui de Dardilly en est un bon exemple."

"Le monument est dû à deux artistes, un sculpteur lyonnais et un sculpteur parisien, Félix Dumas et Charles Yrondi. Il est inauguré le 27 avril 1924. Cette inauguration prend place dans une seconde vague d'inauguration de monument aux morts puisque la grande majorité des d'entre eux sont inaugurés entre 1919 et 1921.
Il ne figure pas parmi les plus tardifs, qui sont inaugurés à la fin des années 20, mais dans une période intermédiaire, ce qui explique aussi en partie la possibilité d'un discours pacifiste. La plupart des monuments aux morts ont été inaugurés en même temps : c'est un des facteurs qui explique leur caractère assez univoque."

"Le monument de Dardilly est original à plusieurs points de vue. Déjà par son emplacement, ici, dans un cimetière, où il accueille les visiteurs à l'entrée devant le portail. Il s'inscrit un peu comme un cénotaphe, comme une tombe sans corps au sein de ce cimetière. Il est entouré des morts de la commune."

"Le projet de monument a été initié en 1919 avec une commission du conseil municipal qui lance une souscription en juillet de cette année-là, souscription qui ne mentionne aucunement le futur message politique du monument."

"La souscription est très classique. On peut y lire que la ville est soucieuse de rendre un hommage posthume aux glorieux morts de la commune tombés pour la patrie. Et que les combattants se sont battus, je cite, 'pour sauver la liberté, le droit des peuples et le patrimoine de nos aïeux. Ils ont tout donné, leur espoir, leur jeunesse et leur vie. Nous leur devons une éternelle reconnaissance'. On est là dans un discours mémoriel tout à fait classique qui ne laisse pas du tout augurer de la forme et du message du futur monument".

"Le monument est construit ensuite entre 1922 et 1924. Et c'est dès 1922 qu'il prend cette forme pacifiste explicitement voulue par le maire de Dardilly de l'époque, qui s'appelait Jean-Louis Pradel. Il avait lui-même perdu un fils à la guerre : Claudius, né en 1891 et mort au début de la guerre, en novembre 1914. On peut d'ailleurs lire son nom sur la face arrière du monument. Ce qui peut aussi expliquer pourquoi le monument avait cette dimension si revendicative."

"Il est écrit sur le monument que Claudius est mort à Souchez le 16 juin 1915. Mais si on fait une recherche dans la base de données 'Mémoire des hommes', liste des morts pour la France, ou encore sur les registres matricules du Rhône, on se rend compte que cette date est fautive. Avec le centenaire, il y a beaucoup de recherches sur les monuments aux morts, notamment à l'université de Lille où il y a une base de données quasiment exhaustive des monuments aux morts français, on se rend donc compte qu'il y a beaucoup d'erreurs sur ces édifices. Là il y en a une visiblement."

"Le maire de Dardilly, qui était de tendance radical socialiste, donc un maire de gauche (mais en même temps le Parti radical socialiste était le grand parti politique de l'époque donc un parti plutôt de centre gauche qui n'avait a priori rien d'extrémiste), choisit pourtant un monument avec un discours extrêmement militant et très rare pour l'époque, que l'on voit dans les inscriptions qui sont choisies avec ce 'contre la guerre, à ses victimes, à la fraternité des peuples'".

"On voit que par rapport à la souscription de 1919, il n'est plus du tout question d'héroïsme, mais uniquement de victimes. De plus, en bas sous la sculpture, on peut lire : 'Que l'avenir console la douleur'".

"Le monument condamne donc explicitement la guerre. Condamnation qui est redoublée par le motif de la sculpture qui présente non pas un poilu en armes mais une femme avec un enfant devant une maison en flammes. Cette représentation a le mérite à la fois d'évoquer ceux qui restent, les endeuillés, la femme et l'enfant, l'orphelin et la veuve. Mais elle évoque aussi le sort, et c'est assez rare, des civils de l'arrière qui ont vu, par exemple, du fait de la guerre leur maison incendiée".

"On retrouve ce type de représentations d'habitude plutôt dans les zones du front où on a quelques monuments qui évoquent le sort des civils ou qui parfois portent le nom des victimes civiles du lieu. Mais c'est assez rare aussi loin du front, et en arrière, comme ici près de Lyon, à Dardilly".

"Le monument a donc une pensée pour les victimes civiles de la guerre. Ce qui est somme toute assez rare puisque la mémoire du premier conflit mondial, jusqu'à aujourd'hui dans le cas de la France et dans le cas des pays d'Europe occidentale, s'est beaucoup focalisée autour de la figure du combattant."

"Là, le nom des combattants est présent derrière le monument, mais ce qu'on voit d'abord, c'est la femme et l'enfant, victimes de la guerre au même titre que ceux qui sont morts sur le front".

"Le monument est inauguré le 27 avril 1924, lors d'une cérémonie où le maire n'invite pas le préfet, n'invite pas l'armée, n'invite pas les hommes politiques locaux, mais uniquement les anciens combattants de l'ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants) qui était la plus petite, la plus militante et la plus orientée à gauche des associations d'anciens combattants."

"Prennent donc la parole lors de l'inauguration, le maire, un représentant de l'ARAC et un professeur de droit de l'université de Lyon. Et ces trois prises de parole sont, elles aussi, comme le monument, sans aucune ambiguïté. Elles sont extrêmement militantes, extrêmement pacifistes."

"Notamment celle du maire. Plutôt que d'évoquer le sort des Poilus de la commune tués à la guerre, il évoque à plusieurs reprises dans son discours le sort des fusillés. Cela montre bien qu'on a ici, en 1924, une mémoire militante de gauche qui s'exprime à la fois à travers le monument mais aussi à travers les discours qui sont prononcés."

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"Ces discours sont ensuite édités sous la forme d'une petite plaquette qui est préfacée par Henri Barbusse, qui était à la fois le président et fondateur de l'ARAC, et l'auteur du plus grand best-seller de la littérature de guerre de l'époque en France, 'Le feu' publié en 1916, ouvrage qui obtiendra le Prix Goncourt. A l'époque Henri Barbusse s'est converti au communisme ; il est donc un écrivain engagé."

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