L'UE "ne cherche pas une victoire politique en Irlande du Nord" face à Londres

Maroš Šefčovič
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Par Shona Murray
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Vice-président de la Commission européenne, Maroš Šefčovič réagit sur euronews, à la présentation par Londres d'un projet de loi remettant en cause le protocole sur l'Irlande du Nord post-Brexit. "La confiance entre nous est sérieusement entamée," souligne-t-il.

Malgré six années de négociations laborieuses, le Brexit suscite toujours autant de tensions. Les relations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni se sont encore dégradées suite à la décision du gouvernement britannique de remettre en cause unilatéralement une partie du protocole sur l'Irlande du Nord qui la maintient dans le marché unique européen pour les marchandises, mais lui fait quitter l'UE avec le reste du Royaume-Uni. Cette solution avait été trouvée pour que toutes les parties respectent l'accord de paix du Vendredi saint. Le vice-président de la Commission européenne Maroš Šefčovič, commissaire chargé de l'accord post-Brexit, nous livre son point de vue.

Shona Murray, euronews :

"Expliquez-nous en quoi cette décision prise par le gouvernement britannique est une menace qui pèse sur le marché unique ? Quels dégâts entraînerait-elle ?"

Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne et commissaire chargé de l'accord post-Brexit :

"Notre relation avec le Royaume-Uni concernant le protocole, l'accord de retrait et l'accord de commerce et de coopération est basée sur la confiance. Évidemment, au sujet du protocole, quand vous élaborez par la suite, un projet de loi dans lequel vous voulez simplement contrôler ce qui arrive sur notre marché intérieur unique et de plus, vous ne voulez pas effectuer les contrôles nécessaires, cette confiance est sérieusement dégradée et sapée."

Le spectre de l'absence de contrôles sur les marchandises entrant dans l'UE

Shona Murray :

"Supposons que ce que les Britanniques proposent ne soit pas si différent de ce que pense l'Union européenne avec leur "canal vert", l'idée générale étant d'alléger les contrôles sur les marchandises qui vont et restent en Irlande du Nord. Mais si comme le veut Londres, il n'y a plus de contrôles sur ces marchandises, que pourrait-il se passer si celles-ci finissent par arriver sur le marché unique - en passant de l'Irlande du Nord à la République d'Irlande - dans le cas où ce seraient des productions agricoles ou des produits animaux non autorisés ?"

Maroš Šefčovič :

"S'il n'y a pas de contrôles, nous pourrions nous retrouver avec des marchandises qui seraient tout simplement illégales, qui ne seraient pas conformes aux normes du point de vue de la santé publique ou de la santé animale. Ou tout simplement cela pourrait avoir de nombreux effets comme d'augmenter la contrebande à la frontière."

"Depuis mars 2021, il n'y a eu aucune proposition constructive de la part du Royaume-Uni"

Shona Murray :

"La partie britannique dit évidemment faire cela par nécessité. Vous dites que le Royaume-Uni n'a pas avancé dans les discussions depuis février. Expliquez-nous la situation de votre point de vue."

Maroš Šefčovič :

"Je dois dire que depuis mars de l'année dernière, nous n'avons vu aucune proposition constructive de la part du Royaume-Uni. Ce ne sont que de nouvelles questions difficiles qui ont été mises sur la table. Je peux également dire - car j'ai régulièrement parlé avec des représentants des entreprises nord-irlandaises, des dirigeants politiques et des personnes de la société civile - que bon nombre de ces questions mises sur la table par le gouvernement britannique n'ont jamais été mentionnées par les habitants d'Irlande du Nord. C'est pourquoi nous nous sommes concentrés sur la manière de résoudre dans la pratique, quelques-unes de ces conséquences non voulues, et ce pour nous assurer que le protocole soit mis en œuvre sans heurts et que les contrôles nécessaires soient réduits au maximum."

Un projet de loi "illégal"

Shona Murray :

"Vous avez dit qu'il y avait des procédures d'infraction lancées contre le Royaume-Uni. Pouvez-vous nous en dire plus ? Et puis, si ce projet de loi est adopté par la Chambre des communes - ce qui pourrait prendre un an environ -, cela signifie-t-il que l'UE gèlera son accord de commerce et de coopération avec le Royaume-Uni ?"

Maroš Šefčovič :

"La première chose à dire, c'est que nous considérons très clairement que ce projet de loi est illégal. Il constitue une violation du droit international. Pour nous, il n'est ni sérieux, ni juste, et ce à cause de certaines des choses que j'ai déjà mentionnées comme le fait que le Royaume-Uni décide du type de marchandises qui entreront dans l'UE, nous empêchant ainsi de contrôler efficacement ce flux. Alors, qu'allons-nous faire de notre côté ? En tout premier lieu, nous allons protéger le marché unique par le biais de la procédure actuelle, mais nous serons très fermes, calmes, mais en même temps, proportionnés dans notre réponse. Nos prochaines actions seront graduelles car nous voulons rester ouverts aux négociations. Mais bien sûr, si ce projet de loi est approuvé tel quel, je ne peux rien exclure, toutes les options doivent être étudiées."

Shona Murray :

"Vous avez dit rester ouverts aux négociations. Boris Johnson, le Premier ministre britannique, ou Liz Truss, la ministre des Affaires étrangères, sont-ils des partenaires fiables pour résoudre ce problème selon vous ?"

Maroš Šefčovič :

"J'ai dit au début de cette interview que notre relation, en particulier concernant des accords aussi sensibles que l'accord de retrait, l'accord de commerce et de coopération et en particulier, le protocole, s'appuie véritablement sur la confiance. Et je dois dire qu'avec ce projet de loi présenté après 18 mois de discussion, cette confiance est gravement entamée."

Sortir de "l'incertitude" en Irlande du Nord

Shona Murray :

"Quelles pourraient être les implications pour l'Irlande du Nord si cette question n'est pas résolue ? Sera-t-elle privée de l'accès au marché unique européen et qu'en sera-t-il également de la fragilité de l'accord de paix ?"

Maroš Šefčovič :

"Je pense que l'une des conséquences évidentes serait que cela susciterait de l'incertitude. Quand vous parlez aux entreprises nord-irlandaises, ce qu'elles vous disent le plus souvent, c'est : "S'il vous plaît, mettez-vous autour de la table, trouvez une solution commune, réglez le problème, nous avons besoin de sécurité juridique, de prévisibilité pour nos entreprises, nos investisseurs hésitent car ils ne savent pas si l'éventuelle entreprise dans laquelle ils investiraient en Irlande du Nord pourrait produire pour 5, 50 ou 500 millions." D'après les chiffres de l'an dernier, l'Irlande du Nord a un développement économique qui est plutôt bon par rapport à d'autres régions de l'Union européenne. Et s'agissant de la paix, c'est une priorité absolue pour nous depuis le début. Comme vous le savez, l'UE, en tant que projet pacifique, a soutenu l'accord du Vendredi saint dès le premier jour. Nous l'avons toujours soutenu financièrement, politiquement et économiquement. J'ai vu comment des projets avaient été menés à bien avec le financement de l'UE comme Flurrybridge et le centre Shankill Road. J'ai constaté le changement et la transformation qu'il y a eu sur place au cours des dernières années et je pense que nous devrions chérir cela et créer un environnement propice à la stabilité de la paix."

"C'est très dirigé par Londres au niveau politique"

Shona Murray :

"Pensez-vous que le Royaume-Uni agit ainsi pour le bien de l'Irlande du Nord comme il l'affirme ou alors, pour des questions de politique intérieure ?"

Maroš Šefčovič :

"Je pense que c'est en effet, très dirigé par Londres au niveau politique. Pour nous, ce qui est important dans toutes ces relations, c'est que nous ne cherchons pas à remporter une victoire politique en Irlande du Nord. Nous voulons simplement que ces questions soient réglées de manière à ce que nous puissions renforcer ce qui, je l'espère, sera à nouveau une relation satisfaisante et prospère avec le Royaume-Uni en créant toutes ces opportunités pour l'Irlande du Nord, mais aussi bien sûr, soutenir la paix et l'accord du Vendredi saint dans toutes ses dimensions."

Journaliste • Shona Murray

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