La Bosnie-Herzégovine peut-elle basculer de nouveau dans la violence interethnique ?

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Par Valérie Gauriat
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Trente ans après la guerre qui a ravagé la Bosnie-Herzégovine, les menaces de sécession de l'entité serbe du pays font craindre un retour de la violence. Notre reporter Valérie Gauriat s'est rendue sur place pour savoir si ces inquiétudes sont réellement fondées.

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Quelques semaines après mon retour d'Ukraine, alors que la plupart des médias étrangers réduisaient leur présence dans le pays toujours déchiré par la guerre, j'ai été chargée d'explorer la réalité des spéculations agitant la communauté internationale sur les éventuels débordements du conflitdans les Balkans occidentaux, à commencer par la Bosnie-Herzégovine. Des craintes alimentées par les velléités sécessionnistes des dirigeants politiques de l'entité serbe du pays, régulièrement soutenues par Moscou.

En atterrissant à Sarajevo, la capitale bosnienne, j'avais hâte de rencontrer à nouveau des communautés que j'avais vues confrontées à de nombreux changements et défis au cours de mes reportages au fil des années depuis la fin de trois ans de guerre en 1995. Je savais que les règles imposées depuis par les accords de Dayton n'étaient pas toujours faciles à appliquer par les composantes bosniaque, croate et serbe de la population, dont les problèmes étaient loin d'être résolus.

Mais je voulais savoir de la bouche des habitants eux-mêmes, si les tensions étaient réellement aussi graves que les médias et les dirigeants politiques locaux le laissaient entendre. J'avais peine à croire que la population serait prête à basculer dans un nouveau cycle de violence après tout ce qu'elle avait enduré lors du conflit le plus sanglant du XXe siècle sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale.

"Les Serbes, Bosniaques et Croates travaillent ensemble et survivent ensemble"

"Les autorités créent les divisions et la confusion et jouent sur la peur ; ils poussent les gens à se retrancher dans leurs groupes ethniques et sur leurs positions de 1992,"  a insisté Ervin, qui milite depuis des années, pour la réconciliation entre les communautés. "Cela aide les politiciens à rester en place et à abuser de l'État alors que les gens essaient simplement de survivre et de joindre les deux bouts." 

Ervin est un résident bosniaque, rapatrié dans la petite ville de Kozarac, en Republika Srpska, l'entité serbe de Bosnie-Herzégovine.

Le problème dans la région, c'est d'abord le chômage dit-il, qui pousse de nombreux jeunes à quitter le pays. Les considérations ethniques n'ont pourtant pas disparu. 

Ancien prisonnier de l'un des camps de guerre tristement connus de la région, Ervin soupire en me ramenant dans les sinistres baraquements du camp de Trnopolie. "Il n'y a aucune inscription indiquant que c'était un camp de détention et les autorités de Prijedor refusent de reconnaître les crimes commis ici contre les Bosniaques musulmans et les Croates," , martelle-t-il.

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Ervin sur le site de l'ancien camp de Trnopolieeuronews

Un point de désaccord entre les communautés, repris par les formations nationalistes. Nikola est un artiste serbe de 28 ans, cofondateur du groupe "Respect de Soi". Il dénonce un déni, par le monde occidental, des crimes commis par les extrémistes croates oustachis contre les Serbes pendant la Seconde Guerre mondiale et accuse ses "voisins croates et musulmans" d'avoir déclenché la guerre dans les années 1990.

"La paix viendra quand l'autre camp admettra enfin qu'ils ont tort et ont eu tort eux aussi,"  lance le jeune homme avant d'ajouter : "On ne peut pas être les seuls méchants, on n'est pas les seuls méchants de l'histoire!" 

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Pour Nikola, les Serbes "ne sont pas les seuls méchants de l'histoire"euronews

Le dossier brûlant de l'adhésion à l'Union européenne

Des griefs sans doute renforcés par le ressentiment de beaucoup à l'égard de l'Union européenne, qui rechigne à accepter la candidature de la Bosnie-Herzégovine, alors que l'Ukraine vient d'obtenir le statut de candidat.

"Non seulement la Bosnie-Herzégovine, mais tous les pays des Balkans occidentaux ont été abandonnés par l'UE," estime le maire adjoint de Prijedor.  Et d'ajouter: _"Je pense que l'on n'a jamais eu la possibilité de résoudre nos relations par nous-mêmes._De__sorte que les gens qui vivent en Bosnie-Herzégovine puissent s'asseoir à une table et trouver un accord sans qu'on nous impose des solutions de l'extérieur."

Une référence directe à l'autorité du Haut-Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine.

En vertu des accords de Dayton, il a le pouvoir d'imposer des lois, modifier les institutions ou encore destituer des responsables politiques locaux, au sein du gouvernement central et des deux entités du pays : la Fédération de Bosnie-Herzégovine, à majorité bosniaque et croate, et la Republika Srpska, à majorité serbe.

"Quand il y aura des actes raisonnables dans ce pays et que tous les organes politiques assumeront leurs responsabilités, il n'y aura plus d'interférence," répond le Haut-Représentant Christian Schmidt.

"Mais on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.Mon message, c'est : "Mes chers collègues, faites votre travail, travaillez pour votre pays et pour l'intégration européenne et tout ira bien. Tant que vous ne le ferez pas, vous aurez affaire à moi." 

Élections nationales en octobre

Plombé par la corruption politique et un système judiciaire dysfonctionnel, le pays est loin d'avoir rempli les conditions fixées par l'Union européenne pour entamer le processus d'intégration. Une autre source de mécontentement sur laquelle joue le leader politique serbe pour justifier ses revendications sécessionnistes.

Celles-ci seront mises à l'épreuve lors des élections nationales prévues en octobre prochain.

Mon voyage prend fin à Srebrenica, où je rencontre Jovana, pétulante jeune femme Serbe. Au sein d'une association, elle tente depuis des années de retrouver les restes de son père, tué pendant la guerre et porté disparu comme de nombreux civils.

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Mais sa principale préoccupation est d'assurer un avenir serein à ses quatre enfants. Lorsque je l'interroge sur les inquiétudes concernant une éventuelle résurgence de la violence ethnique dans le pays et lui demande si elle aspire à l'indépendance de la Republika Srpska, elle balaie les deux sujets d'un revers de main. "Il y a des choses avec lesquelles les gens ne seront jamais en paix tant qu'ils vivront," soupire-t-elle: "Mais de manière générale, les communautés vivent ensemble, d'une manière très normale."

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Pour Jovana, mère de famille serbe, "le problème, c'est la politique au sens large"euronews

"Personnellement, je pense que le fond du problème, c'est la politique au sens large et qui en subit les dommages collatéraux ?C'est le peuple, personne d'autre," constate la mère de famille. "Peu m'importe de vivre en Bosnie-Herzégovine ou en Republika Srpska indépendante," a-t-elle assuré. "Est-ce que ce serait mieux ? Dans l'un ou l'autre cas, je pense que rien ne changerait".

Journaliste • Valérie Gauriat

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