Droits des personnes transgenres : l’Espagne franchit une nouvelle étape

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Par Valérie GauriatDavide Raffaele Lobina
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Alors que la loi dite "Trans" facilitant les démarches de changement de sexe sur les papiers d'identité est entrée en vigueur en Espagne et suscite la controverse, des personnes concernées nous livrent leur témoignage.

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Après des débats houleux, la "loi d’égalité réelle et effective des personnes trans" vient d'entrer en vigueur en Espagne. Ce texte qui facilite les démarches de ceux qui souhaitent changer le sexe figurant sur leurs papiers d'identité inquiète une partie de l'opinion espagnole. Notre reporter Valérie Gauriat a parlé à ceux pour qui cette évolution législative représente une reconnaissance de leurs droits comme citoyens à part entière.

À Madrid, Ezekiel gagne sa vie comme coach sportif. Il s'entraîne chaque jour pour réaliser son rêve : devenir pompier. Derrière sa silhouette athlétique, se cache un long combat : Ezekiel est né femme il y a 23 ans. Il nous accueille chez lui en nous montrant un portrait d'une petite fille. "Cette photo date de quand j'avais 4 ou 5 ans, ma mère adore cette photo, c'est pour cela que je l'ai ici," confie-t-il, avant de présenter deux autres clichés pris il y a deux ans et demi, en compagnie de sa petite amie. "La transition n'avait pas encore commencé," explique-t-il. "J'aime aussi beaucoup [ces photos] et on les garde dans notre chambre," dit-il.

"C'est un processus très difficile, ce n'est pas quelque chose que l'on fait à la légère"

Ezekiel est sous traitement hormonal depuis deux ans et demi. Il a également subi une mastectomie. Une transformation décidée pendant la période de confinement du Covid, après des années de mal-être."J'étais très sociable, mais je n'aimais pas mon identité," raconte le jeune homme, "avant de l'accepter et de dire d'accord : Je suis un garçon trans, je dois l'accepter et je vais commencer avec ça. Je me suis regardé dans le miroir et je me suis dit que je n'en pouvais plus, que j'avais besoin d'en parler aux gens, besoin d'être reconnu tel que je suis et que je devais commencer par ma transition pour me sentir bien dans ma peau." 

Cette reconnaissance passera aussi pour lui par un changement de sexe dans l'état civil, procédure jusqu'alors autorisée sous réserve de deux ans de traitement hormonal et d'un avis médical. La nouvelle loi dite "Trans" qui vient d'entrer en vigueur en Espagne rend désormais, ce changement possible sans aucune condition. La facilité de la démarche est jugée trop risquée par une partie de l'opinion espagnole.

Pour Ezekiel, c'est un faux procès. "Vous ne franchissez cette étape que si vous êtes totalement sûr de ce que vous voulez faire," assure-t-il. "Changer de nom, changer de sexe sur votre carte d'identité nationale, ce n'est pas seulement sur la carte d'identité nationale qui n'est une petite carte," fait-il remarquer. "Cela va au-delà, dans votre cercle social, votre cursus universitaire ou quoi que ce soit d'autre : il y a votre travail, votre famille, c'est un grand changement," insiste-t-il. "C'est comme sauter dans le vide, de se dire que je vais sauter, en espérant qu'il y a de l'eau en dessous, sinon ce qui va se passer sera horrible," dit-il. "C'est un processus très difficile, ce n'est pas quelque chose que l'on fait à la légère," affirme-t-il.

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Ezekiel, 23 ans, a déposé une demande de changement de sexe sur sa carte d'identité espagnoleEuronews

"Cela va faciliter beaucoup de choses"

Le lendemain de notre rencontre, Ezekiel a déposé sa demande de nouvelle identité de genre au service d'état civil de Madrid."J'ai demandé l'enregistrement de mon changement de sexe sur ma carte nationale d'identité nationale, c'est parfait !" lance-t-il, tout sourire, en sortant du bâtiment administratif. "Dans trois mois, je reviendrai pour ratifier la demande et je changerai de carte d'identité," explique-t-il.

Cette démarche va changer sa vie selon lui. "Cela va faciliter beaucoup de choses : je n'aurai plus à donner toutes sortes d'explications, quand je postulerai pour des emplois par exemple," précise-t-il. "Cela va m'aider aussi pour ma formation de pompier ; je pourrais avoir un diplôme conforme à mon sexe," dit-il avant de conclure, souriant : "Je suis plus heureux que jamais !"

Sur simple demande dès 16 ans, un âge contesté

Entrée en vigueur le 2 mars 2023, la loi nationale dite "d'égalité réelle et effective des personnes trans" a fait sauter tous les verrous de la précédente législation. À l'instar de l'Organisation mondiale de la Santé, elle dépathologise la transsexualité et permet l'autodétermination du genre sur simple demande dès l’âge de 16 ans et avec autorisation parentale à partir de 12 ans. Une première dans l'Union européenne et l'un des points les plus polémiques de la loi.

Le ministère de l'égalité espagnol la revendique comme la plus progressiste d'Europe en matière de droits LGBTIQ+. 

Mais beaucoup dénoncent cette loi qui permet le changement de sexe sans condition dès l’âge de 16 ans, estimant que c'est trop jeune pour décider et que les personnes qui effectuent la procédure pourraient changer d'avis par la suite. La secrétaire d'État espagnole pour l'égalité et contre la violence de genre, Ángela Rodríguez Martínez, balaie ces critiques. "Dans notre pays, dès l'âge de 16 ans, les gens peuvent avoir un emploi, ils peuvent consentir à des relations sexuelles, les femmes peuvent avorter si elles le souhaitent," rappelle-t-elle. "Il semble donc raisonnable que 16 ans soit également un âge à partir duquel une personne peut déclarer son identité de genre," insiste-t-elle.

"De plus, cette loi a l'avantage de dissocier le changement de sexe dans le registre civil de la nécessité de prendre des hormones ou de subir tout type d'intervention chirurgicale," explique-t-elle. "En cas de changement d'opinion, il s’agirait d'annuler la modification du registre avec toutes les garanties légales nécessaires pour que cela soit fait," dit-elle.

"Nous avons constaté dans notre pays de nombreux cas de souffrance chez les enfants trans, notamment des suicides très récents de personnes qui n'étaient pas satisfaites de leur sexe inscrit au registre ; cette loi va précisément mettre fin à cette douleur et proposer des outils pour que les adolescents qui souhaitent franchir cette étape rencontrent moins d'obstacles qu'ils n'en ont eus jusqu'à présent," déclare-t-elle.

"Cette loi ne laisse pas le temps de réfléchir"

Ces arguments sont contestés non seulement par les milieux conservateurs du pays, mais aussi par une partie de la communauté médicale.

Pour Vicenta Esteve Biot, psychologue, spécialiste de la transsexualité et membre du Consejo General de Psicologia (Conseil général de psychologie), la suppression des diagnostics médico-psychologiques pour le changement de sexe au registre civil risque d'entraîner des transitions trop hâtives.

"Le problème de cette loi, c'est qu'elle ne laisse pas le temps de réfléchir," juge-t-elle. "Ce n'est pas la même chose de suivre un processus accompagné par un professionnel qui peut vous aider à prendre vos propres décisions au moment où vous devez les prendre, et non pas avant ou de manière précipitée," assure-t-elle. "Les gens doivent prendre des décisions éclairées, et pas seulement les personnes trans, mais aussi les familles," indique-t-elle avant d'ajouter : "Il y a des parents qui prennent les devants pour éviter la souffrance de leurs enfants et c'est tout aussi mauvais d’être en avance sur vos enfants que d'être en retard et de les freiner."

"Il avait comme une rage intérieure," dit Encarni, mère d'un garçon trans

Éviter la souffrance de son enfant, c'est la priorité d'Encarni, mère de Marc, 12 ans.

À la tête d'une association de parents d'enfants transgenres appelée Chrysallis, Encarni milite pour qu'ils soient acceptés par la société. Elle et son mari ont décidé d'accompagner Marc dans sa transition, depuis qu'il l'a verbalisée il y a un an et demi.

Marc dit-elle, "s'est vu attribuer le mauvais sexe à la naissance. Il y a 18 mois, il a su exprimer qu'il était un garçon.

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"Au début cela a été un choc, vous pensez qu'il peut s'agir d'une orientation sexuelle différente, mais pas d'une identité de genre opposée," confie Encarni.. "Je n'avais pas du tout conscience que c'était ce qui lui arrivait, mais il avait comme une rage intérieure qui l'empêchait d'être heureux et qui ne permettait pas à la famille de vivre en paix et en harmonie," dit-elle.

Avec le soutien de ses parents et de son frère aîné, ainsi que des familles de l'association, la vie de Marc a changé du tout au tout, dit-il.

"Je savais que je n'étais pas à ma place d'une manière ou d'une autre, mais je ne savais pas comment l'exprimer et quand j'ai commencé à me développer, je me sentais très mal," raconte-t-il. "Je ne voulais pas voir mon corps et puis, quand j'ai compris que j'étais un garçon, je me suis senti beaucoup mieux," affirme-t-il. "Ma relation avec mes parents, avec mes amis, avec moi-même est maintenant bien meilleure," renchérit-il.

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Marc, 12 ans, aux côtés de sa mère EncarniEuronews

"Aux personnes qui ne me respectent pas, je leur demande de me laisser être heureux," dit Marc, 12 ans

Nous lui demandons s'il penche aux prochaines étapes qui pourraient l'attendre dans sa transition. "Parfois, je pense à ce que ce sera de prendre des hormones, à ce que les gens penseront de moi quand j'irai au lycée ou à ce que ce sera de travailler en tant que personne trans," reconnaît-il. "Le monde sera peut-être bien différent demain, tout peut arriver, j'essaie de me concentrer sur le présent," dit-il simplement.

Un monde de demain qu'Encarni et son association souhaitent plus tolérant pour leurs enfants. "Le plus compliqué, c'est de voir un garçon ou une fille souffrir, de les voir souffrir dans leur corps, dans leurs transitions et lorsqu'ils sont harcelés ou rejetés : c'est cela, le pire," souligne Encarni.

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"Ce n'est pas l'identité de genre qui est à l'origine du problème, c'est la société qui n'accepte pas la diversité et qui n'accepte pas la différence et c'est pour cela qu'elle doit évoluer," dit-elle.

"Aux personnes qui ne me respectent pas et qui s'opposent à ma transition, je leur demande de me laisser vivre et qu'ils respectent ma décision," renchérit Marc. "Je ne pense pas qu'ils aient le droit de parler de ma vie s'ils ne savent pas à quoi elle ressemble et je leur demande de me laisser être heureux," dit-il.

"Notre jeunesse est de plus en plus diverse et exige cette diversité"

Être heureux, sans stigmatisation, c'était le but de l'après-midi sportive contre la transphobie organisée dans un parc public de Madrid par des associations de défense des droits LGBTIQ+. Ezekiel, Marc, Encarni et les familles de son association étaient au rendez-vous. Un moment de détente et une façon pour eux de lutter contre les préjugés.

"Il s'agit de nous relier un peu à la société, d'y relier le collectif et de donner une vision différente de nous, dans des espaces sûrs où nous pouvons être tranquilles, nous sentir bien et passer un bon moment tous ensemble," explique Ezekiel.

"Notre jeunesse est de plus en plus diverse et exige cette diversité," insiste Encarni avant de conclure : "Soit nous nous adaptons à cette diversité, soit nous nous éloignons de plus en plus."

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Journaliste • Valérie Gauriat

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