L'Allemagne a-t-elle tourné le dos à l'accueil des migrants ?

Des personnes accueillent des réfugiés avec une banderole indiquant "Bienvenue en Allemagne" à Dortmund, Allemagne, dimanche 6 septembre 2015.
Des personnes accueillent des réfugiés avec une banderole indiquant "Bienvenue en Allemagne" à Dortmund, Allemagne, dimanche 6 septembre 2015. Tous droits réservés AP Photo/Martin Meissner
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Par Giulia Carbonaro
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Cet article a été initialement publié en anglais

Après deux défaites électorales de sa coalition, le chancelier allemand, Olaf Scholz, adopte désormais une position plus stricte sur l'immigration, en essayant d'intensifier les efforts pour expulser les personnes en situation irrégulière dans le pays.

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Au milieu de la panique généralisée des pays européens lors de la crise des migrants de 2015-2016, l'Allemagne de la chancelière, Angela Merkel, ouvrait son pays à un grand nombre de migrants.

Sous l'impulsion de l'ancienne chancelière allemande et de sa politique de "culture de l'accueil", le pays a accueilli plus de 1,2 million de réfugiés et de demandeurs d'asile, entre 2015 et 2016.

Mais face à la recrudescence de l'immigration clandestine en Europe, l'Allemagne se trouve aujourd'hui dans une situation très différente, contrainte de tourner le dos à la "culture de l'accueil" - ou "Willkommenskultur" - dont elle s'enorgueillissait autrefois.

"Nous limitons l'immigration clandestine en Allemagne. Trop de gens arrivent", annonce le chancelier, Olaf Scholz, dans une récente interview au journal Der Spiegel. "Nous devons expulser les gens plus souvent et plus rapidement", ajoute-t-il.

Le chancelier Olaf Scholz déclare que l'Allemagne doit commencer à expulser "à grande échelle" les migrants qui n'ont pas le droit de rester dans le pays
Le chancelier Olaf Scholz déclare que l'Allemagne doit commencer à expulser "à grande échelle" les migrants qui n'ont pas le droit de rester dans le paysAP Photo/Markus Schreiber

"L'Allemagne doit accélérer les expulsions des migrants qui ne sont pas autorisés à rester dans le pays", affirme Olaf Scholz. Quelques jours plus tard, le cabinet allemand a approuvé une proposition législative visant à rationaliser le processus d'expulsion des demandeurs d'asile déboutés.

Il s'agit d'un changement de paradigme considérable pour l'Allemagne et pour Olaf Scholz, dont on aurait pu s'attendre à ce qu'il poursuive l'héritage d'Angela Merkel. 

"Il y a un changement notable dans la rhétorique et la politique avec l'objectif clair de faire baisser les chiffres de l'immigration", indique, à Euronews, Michael Bröning, politologue et membre de la Commission des valeurs fondamentales du SPD, le parti d'Olaf Scholz. 

"Les mesures suggérées comprennent la facilitation des expulsions, des sanctions plus sévères pour les trafiquants d'êtres humains, la réinstallation de contrôles temporaires aux frontières, de nouveaux accords bilatéraux avec les pays d'origine et une extension de la liste des pays considérés comme sûrs. En résumé, il s'agit d'un changement radical de politique qui marque la fin de la "culture de l'accueil" unique de l'Allemagne telle qu'elle s'est manifestée en 2015", ajoute-t-il. 

Un changement radical de politique après les déboires électoraux

Lors d'une visite de trois jours au Nigeria en début de semaine, Olaf Scholz a demandé au président nigérian Bola Tinubu de l'aider à faire face à la montée en flèche de l'immigration, suggérant un partenariat quelque peu similaire à celui que la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a conclu avec la Tunisie, en début d'année.

L'idée est d'accueillir les personnes expulsées d'Allemagne dans des centres de migration au Nigeria, où elles pourront trouver un abri, des soins de santé et des opportunités d'emplois.

Cette initiative s'inscrit dans le cadre de l'approche de plus en plus stricte adoptée par Olaf Scholz et son gouvernement à l'égard de l'immigration clandestine, après les mauvais résultats obtenus par sa coalition tripartite lors de deux élections régionales organisées au début du mois. Les deux élections régionales ont été remportées par les conservateurs, tandis que l'extrême droite a réalisé des gains significatifs.

Michael Bröning précise qu' "il est impossible de dire si ce changement se traduira directement par un plus grand soutien au gouvernement", lors des prochaines élections.

"Mais il est important de réaliser que le public allemand souhaite que le gouvernement agisse", poursuit-il. "En outre, il est important de voir que le changement de politique ne se produit pas dans le vide, mais plutôt dans le contexte d'un défi croissant lancé par l'extrême droite allemande".

L'Allemagne a renforcé les patrouilles de police le long des "itinéraires de contrebande", en particulier aux frontières avec la Pologne et la République tchèque
L'Allemagne a renforcé les patrouilles de police le long des "itinéraires de contrebande", en particulier aux frontières avec la Pologne et la République tchèqueAP Photo/Matthias Schrader

Ces derniers mois, l'AfD, le parti allemand d'extrême-droite, est monté en flèche dans les sondages et a remporté d'importants succès électoraux en Bavière et en Hesse.

"Je pense que cette évolution n'est pas atypique des tendances que l'on peut observer dans d'autres partis de gauche et/ou sociaux-démocrates, qui sont depuis des années confrontés à un dilemme quant à la manière de répondre aux défis de la droite radicale populiste", affirme, à Euronews, Kurt Richard Luther, professeur émérite de politique comparée à l'université de Keele au Royaume-Uni.

"Alors que la montée de l'AfD est alimentée par un large éventail de griefs - certains imaginaires et d'autres réels -, l'inquiétude concernant ce qui est perçu comme une immigration incontrôlée a longtemps été une force motrice principale du populisme de droite", souligne Michael Bröning.

Olaf Scholz est désormais soumis à une forte pression pour faire baisser le nombre croissant de demandeurs d'asile dans le pays, alors que le mécontentement à l'égard de la gestion de la situation des réfugiés par le gouvernement ne cesse de croître.

Un récent sondage ARD DeutschlandTrend a révélé que 44 % des Allemands considèrent actuellement l'immigration illégale comme le problème politique le plus important en Allemagne, et auquel les politiciens devraient donner la priorité.

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"S'attaquer à ce problème est clairement à l'ordre du jour", assure Michael Bröning.

"Le défi consistera à gérer la crise sans mettre en péril la stabilité de la coalition gouvernementale ou la cohésion entre les partis. Il est clair que tous les sociaux-démocrates et tous les électeurs verts allemands ne sont pas satisfaits des changements proposés. Je pense donc qu'il est juste de dire que nous sommes au début d'un débat, et non à sa fin", souligne-t-il. 

Le sentiment des Allemands à l'égard des migrants a-t-il changé ?

En 2015, alors que de nombreux pays européens renforçaient les contrôles aux frontières, il était courant de voir des foules d'Allemands accueillir des milliers de migrants arrivant dans le pays, après un long périple, à travers le Moyen-Orient et l'Europe.

Qu'est-il advenu de cet enthousiasme pour les nouveaux arrivants en Allemagne ?

Un homme tient un carton portant le slogan "Welcome" lors de l'arrivée de réfugiés à la gare de Saalfeld, dans le centre de l'Allemagne, en 2015
Un homme tient un carton portant le slogan "Welcome" lors de l'arrivée de réfugiés à la gare de Saalfeld, dans le centre de l'Allemagne, en 2015AP Photo/Jens Meyer,file

Malgré le changement de politique du chancelier allemand Olaf Scholz, "de nombreux Allemands sont toujours favorables à l'accueil des personnes dans le besoin et il existe un large soutien en faveur de l'acceptation de la responsabilité humanitaire - sans la nier", a affirme Michael Bröning.

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"Cependant, les chiffres ont eu un effet et l'état d'esprit de 2015 a radicalement changé", ajoute-t-il. 

Aujourd'hui, le public allemand est largement convaincu que les chiffres doivent baisser "et les réactions à l'escalade actuelle au Moyen-Orient ont joué un rôle important - et inattendu - dans cette transformation du débat", indique Michael Bröning.

"Les rassemblements pro-palestiniens, la vague d'incidents antisémites et la célébration de l'attentat du Hamas dans certains quartiers à forte immigration ont rappelé brutalement que tout ne va pas bien en matière d'immigration et d'intégration. À bien des égards, cela a permis d'ouvrir le discours à une discussion plus nuancée".

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