La question migratoire de retour à l’agenda de l’UE, mais les divisions politiques demeurent

Des demandeurs d'asile à bord d'un bateau de l'ONG SOS Humanitarian
Des demandeurs d'asile à bord d'un bateau de l'ONG SOS Humanitarian Tous droits réservés Salvatore Cavalli/AP
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Par Jorge Liboreiro
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Lors du sommet européen extraordinaire ce jeudi et vendredi (9-10 février), les dirigeants de l’UE aborderont à nouveau le dossier de l’asile et de l’immigration qui divise profondément les 27.

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Après des années marquées par la pandémie de covid-19, la création d’un fonds de relance européen, une guerre sur le continent, une crise énergétique et une inflation record, les dirigeants de l'UE sont prêts à remettre la question migratoire en tête de l'agenda politique.

Ce dossier, responsable de profondes fissures entre les 27, n’a jamais vraiment disparu. Mais les augmentations l’an dernier de 64 % des franchissements irréguliers de frontières et de 46 % des demandes d'asile suscitent un nouveau sentiment d'urgence chez les responsables politiques qui souhaitent relancer ce sujet explosif.

L'Autriche réclame des fonds européens pour financer une nouvelle clôture le long de la frontière entre la Bulgarie et la Turquie. L'Italie fait pression pour que l'Union européenne adopte un code de conduite pour les navires de sauvetage en Méditerranée. Quant au Danemark, pays qui pratique une politique d'asile zéro, il cherche à obtenir une aide pour créer des centres d'accueil en dehors de l'UE.

Un sommet extraordinaire de deux jours est donc organisé cette semaine pour aborder de front la question migratoire et le contrôle des frontières extérieures.

La Commission européenne tente de profiter de l'occasion pour faire avancer son pacte sur la migration et l'asile, bloqué depuis de longs mois.

"La migration est un défi européen qui doit être relevé par une réponse européenne", écrit la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans une lettre adressée aux dirigeants avant le sommet de février.

Le nouveau pacte repose sur le principe qui a opposé les États membres pendant des années : le partage équitable des responsabilités et la solidarité.

Entre le marteau et l'enclume

En vertu du règlement dit de Dublin, adopté pour la première fois en 2013, la demande présentée par un demandeur d'asile relève de la responsabilité de l'Etat membre d'arrivée.

Ce système est sévèrement critiqué par les gouvernements et la société civile car il fait peser une charge disproportionnée sur les pays en première ligne, au sud, qui sont confrontés à l'énorme tâche de traiter les demandes d'asile de migrants qui, bien souvent, veulent rejoindre le nord du continent.

C'est ici que se trouve le cœur des difficultés. Comment l'UE, en tant qu'union politique avec des frontières extérieures communes, peut-elle relocaliser et redistribuer ces centaines de milliers de demandeurs d'asile d'une manière qui soit considérée comme juste et équilibrée ?

Jusqu'à présent, la réponse apparaît évidente : elle ne peut pas.

"La migration actuelle est prise entre le marteau et l'enclume, essentiellement. Les flux migratoires et les pressions migratoires se poursuivent, mais les États membres ont beaucoup de mal à se mettre d'accord sur une série de solutions efficaces et communes", explique Andrew Geddes, directeur du Centre de politique migratoire de l'Institut universitaire européen (IUE).

"Certains États membres refusent, tout simplement, et ne participeront pas aux programmes qui impliquent la relocalisation des migrants à travers l'UE."

Un débat privé de toute énergie nouvelle

La proposition de nouveau pacte offre une autre réponse au dilemme de la relocalisation : un mécanisme de "solidarité effective".

Ce dispositif offrirait aux pays de l'UE trois options pour aider un autre État membre sous pression en raison d'un afflux de nouveaux arrivants :

  • accepter un certain nombre de demandeurs d'asile relocalisés

  • payer pour le retour dans leur pays d'origine des demandeurs déboutés 

  • financer une série de "mesures opérationnelles" telles que des centres d'accueil et des moyens de transport.

Les engagements seraient calculés sur la base du PIB et de la population du pays concerné. Une fois l'accord obtenu, la Commission européenne adopterait un acte qui rendrait les engagements juridiquement contraignants.

Pour les partisans de la relocalisation, comme l'Allemagne, la France, l'Italie et la Grèce, le système permet aux pays réticents de s'en sortir en leur offrant deux options - le parrainage du retour et les mesures opérationnelles - qui n'impliquent pas l'accueil d'une personne à l'intérieur de leurs frontières.

Pour ceux qui s'opposent à la relocalisation, comme la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie et l'Autriche, le système introduit des engagements qui les obligeraient à contribuer, qu'ils le veuillent ou non.

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Ces perspectives contradictoires ont condamné le nouveau pacte dans les limbes législatifs, avec peu ou pas de progrès depuis sa présentation en septembre 2020.

Intérêts nationaux et agendas politiques à court terme

"Il n'y a pas de médicament miracle ou de solution magique prêts à l'emploi à la question du partage des responsabilités", précise Alberto-Horst Neidhardt, responsable du programme sur la migration au European Policy Centre (EPC).

"Pendant trop longtemps, le débat sur la migration a été privé de nouvelles énergies et d'oxygène vital, pressé dans un coin par les intérêts nationaux et les agendas politiques à court terme."

Un mécanisme de relocalisation volontaire soutenu par 23 pays européens a permis jusqu'à présent de relocaliser 435 demandeurs d'asile, sur les 8 000 engagements qui devraient être tenus chaque année.

L'absence perpétuelle de consensus sur la manière de traiter la migration à l'intérieur de l'Union "risque de se traduire par une attention disproportionnée sur le retour et la réadmission", ajoute Alberto-Horst Neidhardt.

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"Les politiques de migration et d'asile de l'UE sont tout sauf dans un état sain".

En fait, les discussions à Bruxelles ont acquis un accent marqué sur la dimension externe de la migration : les relations entre l'UE et les pays d'origine, reflétant un passage croissant de la gestion à la prévention des arrivées.

Le nombre record de demandes d'asile déposées par des ressortissants de pays traditionnellement considérés comme "sûrs", tels que la Turquie, le Bangladesh, le Maroc, la Géorgie, l'Égypte et le Pérou, a alimenté les appels à un engagement international plus énergique et plus persuasif.

"De nombreux autres pays sont loin d'être stables et ne sont pas sûrs dans tous les sens du terme", explique Catherine Woollard, directrice du Conseil européen sur les réfugiés et les exilés (ECRE) dans une déclaration critique, notant que l'"alarmisme" à travers les 27 est fabriqué à des fins politiques.

"L'élaboration de politiques en mode panique alimente une approche fondée sur des peurs infondées plutôt que sur des besoins, des intérêts, des considérations de ressources ou des obligations légales."

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L'UE veut utiliser un "levier" avec les pays d'origine

L'attention s'est également portée sur le taux de retour des demandeurs d'asile, inéligibles dans l'UE.

Ce faible niveau (environ 21 %) provoque la colère des gouvernements intransigeants, qui brandissent le spectre du recours à l'article 25a du code des visas de l'UE pour imposer des mesures restrictives aux pays non-coopératifs.

La lettre d’Ursula von der Leyen reconnaît cette réalité et parle de projets de lutte contre la contrebande, d'équipes opérationnelles conjointes et de partenariats de talents pour accélérer les retours et freiner les départs.

"Les leviers provenant de différents domaines politiques, notamment les visas, le commerce, les investissements (...) et les possibilités de migration légale, envoient des signaux clairs aux partenaires sur les avantages de la coopération avec l'UE et devraient être utilisés au maximum", écrit la présidente de la Commission.

Mais les experts mettent en garde contre l'externalisation de la politique d'asile, également appelée "délocalisation", qui ignore les raisons fondamentales qui motivent les flux migratoires, telles que les difficultés économiques, la discrimination et le changement climatique qui peuvent conduire à des violations des droits de l'homme et à des détentions illégales en dehors de l'UE.

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"La demande d'asile est un symptôme plutôt que la cause", assure Andrew Geddes.

"La répression des bateaux et des passeurs et d'autres choses de ce genre peut avoir certains effets, elle peut conduire à la mort de plus de personnes, bien sûr, mais elle ne s’attaque en rien à certaines des causes sous-jacentes beaucoup plus profondes de ce déplacement."

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