L'hypothèse bradykinique : quand un superordinateur fait avancer la recherche contre le Covid-19

L'hypothèse bradykinique : quand un superordinateur fait avancer la recherche contre le Covid-19
Tous droits réservés Euronews
Tous droits réservés Euronews
Par Emma BeswickRafael Cereceda
Partager cet articleDiscussion
Partager cet articleClose Button

Summit, un superordinateur américain, a analysé 40 000 gènes provenant de 17 000 échantillons différents pour tenter de comprendre le coronavirus.

PUBLICITÉ

Une étude génétique des patients atteints de Covid-19, réalisée à l'aide du superordinateur Summit, a permis de faire un grand pas en avant dans la compréhension de la manière dont le nouveau coronavirus provoque cette maladie.

Ce superordinateur, situé au Oak Ridge National Lab aux États-Unis, a analysé 40 000 gènes provenant de 17 000 échantillons différents au début de l'été pour tenter de comprendre le virus, comme l'a expliqué l'expert en intelligence artificielle Thomas Smith dans un article sur la plateforme Medium.

Bien que la machine soit le deuxième ordinateur le plus rapide au monde, le processus a néanmoins nécessité l'analyse de 2,5 milliards de combinaisons génétiques - un tour de force qui a pris plus de deux semaines.

Selon les conclusions de cette analyse, la bradykinine, un composé chimique naturel qui régule la pression sanguine, pourrait expliquer de nombreux aspects du Covid-19 et certains de ses symptômes.

Ces résultats sont susceptibles d'éclairer les raisons pour lesquelles le virus provoque des problèmes vasculaires chez certains patients, allant de l'accident vasculaire cérébral à l'inflammation de la peau ou des orteils, ainsi que d'indiquer de nouvelles thérapies potentielles pour traiter ses symptômes les plus graves.

Comprendre le Covid-19, une course contre la montre

Face à un nouveau virus et à une maladie inconnue, les autorités sanitaires et la communauté médicale ont appris petit à petit comment traiter le nouveau coronavirus.

Au début, le virus semblait se manifester sous la forme d'un syndrome respiratoire – son nom scientifique complet est toujours Syndrome respiratoire aigu sévère 2, SARS-CoV-2 – avec des symptômes similaires à ceux d'un mauvais rhume ou d'une grippe. Les traitements étaient le reflet de cette vision.

Mais rapidement, les médecins sur le terrain ont commencé à signaler d'autres symptômes plus graves : accidents vasculaires cérébraux, problèmes cardiaques, problèmes de peau et problèmes circulatoires, principalement au niveau des pieds. Des problèmes hormonaux ont également été détectés dans certains cas.

Les professionnels de la santé ont commencé à réaliser que l'oxygénation ou l'intubation des patients gravement malades, qui est le protocole initial en cas d'insuffisance respiratoire, ne donnait pas toujours les résultats escomptés. Un autre phénomène était à l'œuvre.

Peu à peu, des signes ont montré que les cas les plus graves et certains décès étaient dus à une "tempête de cytokines" – une réaction disproportionnée du système immunitaire du patient, capable d'endommager les organes vitaux.

Les scientifiques qui ont interprété les données du superordinateur Summit et qui ont publié leurs conclusions dans le journal scientifique eLife, pensent qu'une "tempête de bradykinine", un dysfonctionnement du système vasculaire qui entraîne une fuite des vaisseaux sanguins, pourrait aussi jouer un rôle clé. Ils ont toutefois ajouté qu'il est possible que les deux tempêtes, de cytokines et de bradykinine, soient "intimement liées".

Qu'est ce que l'"hypothèse de la bradykinine" ?

Cette nouvelle hypothèse suggère qu'une tempête de bradykinine est responsable d'un grand nombre des symptômes, parmi les plus mortels, du Covid-19.

Cette théorie repose sur l'idée communément admise que l'infection commence par l'entrée du virus dans l'organisme par l'intermédiaire des récepteurs ACE2 largement présents dans le nez, mais aussi dans les intestins, les reins et le cœur.

Le superordinateur Summit a montré à l'équipe de chercheurs que les effets du Covid-19 ne se limitaient pas à ceux causés par la colonisation des récepteurs ACE2 : le virus est également capable de les manipuler. Il pirate activement les propres mécanismes du corps humain, le poussant à augmenter la réponse de ces récepteurs.

Le Covid-19 est comme un cambrioleur qui entre dans votre maison par la fenêtre du deuxième étage, non fermée et ouvre aussi toutes vos portes et fenêtres pour que ses complices puissent se ruer à l'intérieur
Thomas Smith

M. Smith explique : "En ce sens, le Covid-19 est comme un cambrioleur qui entre dans votre maison par la fenêtre du deuxième étage, non fermée, et qui commence à tout piller. Une fois à l'intérieur, cependant, il ne fait pas que prendre vos affaires, il ouvre aussi toutes vos portes et fenêtres pour que ses complices puissent se ruer à l'intérieur et aider à rendre le pillage de manière plus efficace".

Le SARS-CoV-2 augmente les niveaux d'ACE2, ce qui abaisse la pression sanguine dans le corps humain et agit contre une autre enzyme appelée ACE (qui a l'effet inverse), laissant la porte ouverte à la bradykinine, affirment les chercheurs dans la revue scientifique.

Non contrôlée, la bradykinine provoque une perméabilité et une dilatation des vaisseaux sanguins ainsi qu'une hypotension, ajoutent-ils.

Quand les respirateurs sont inutiles contre le Covid-19

Dès lors que la pression sanguine n'est plus contrôlée et que les vaisseaux sanguins deviennent plus perméables, l'organisme ouvre la porte à des dysfonctionnements dans presque tout le corps, et cette porte reste ouverte.

PUBLICITÉ

Les patients atteints de Covid-19 et touchés par une "tempête de bradykinine" se "noient" parce que leurs alvéoles pulmonaires se recouvrent d'une substance gélatineuse.

En effet, de nombreux professionnels de la santé ont signalé des dommages aux vaisseaux sanguins du système respiratoire et de certains autres organes.

Cela expliquerait pourquoi, dans certains cas, il était inutile d'administrer de l'oxygène ou d'intuber les patients avec des respirateurs.

Une hypothèse utilisée pour identifier les patients à risque ?

Un autre mystère du Covid-19 est que certains patients ont souffert plus que d'autres de symptômes plus graves, même si des facteurs de risque ont été identifiés, comme l'âge, le surpoids et le diabète.

Des spéculations ont avancé comme explication des facteurs génétiques, le microbiote ou même le groupe sanguin.

PUBLICITÉ

L'hypothèse de la bradykinine pourrait nous aider à comprendre qui sont les patients qui risquent le plus d'être gravement touchés par le coronavirus.

Il semble à l'étude des bilans des victimes que les femmes soient moins susceptibles de mourir du Covid-19. Les chercheurs pensent qu'une protéine (la thymosine bêta-4), dont la concentration est deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes, pourrait protéger les femmes contre certains des symptômes les plus graves du nouveau coronavirus.

En quoi cela aide à trouver un traitement contre le Covid-19 ?

Les chercheurs ont suggéré que les efforts visant à trouver un traitement contre les symptômes graves devraient se concentrer sur la réduction des tempêtes de bradykinine.

"D'autres expériences ont permis d'identifier plusieurs médicaments existants qui pourraient être réutilisés pour traiter les tempêtes de bradykinine", affirment-ils.

"Une prochaine étape possible serait de mener des essais cliniques pour évaluer l'efficacité de ces médicaments dans le traitement des patients atteints de Covid-19" expliquent les auteurs dans Elife. "En outre, comprendre comment le SRAS-Cov-2 affecte l'organisme aidera les chercheurs et les cliniciens à identifier les personnes les plus susceptibles de développer des symptômes mettant leur vie en danger".

PUBLICITÉ

Sources additionnelles • Thomas Seymat

Partager cet articleDiscussion

À découvrir également

Covid-19 : rebond épidémique, l'OMS appelle à la vigilance

L'OMS lève l'alerte maximale sur la pandémie de Covid-19

Origine du Covid : l'OMS assure que Pékin dispose de plus de données, la Chine dément