Alors que le Parlement européen débat du sujet, nous recueillons les points de vue sur la stérilisation forcée des personnes handicapées qui reste pratiquée dans l'UE, entre accusation d'eugénisme, justification médicale et désarroi des personnes touchées.
À Séville, Rosario et Antonio forment un couple depuis 33 ans. Tous deux souffrent d'une déficience intellectuelle de 67% qui ne les empêche pas d'être indépendants et de travailler. Mais leur relation a été marquée, peu après le début de leur rencontre, par une intervention chirurgicale qui a été vécue comme un traumatisme par la jeune femme.
Lorsque Rosario, alors âgée de 20 ans, a annoncé à ses parents qu'elle était amoureuse d'Antonio et qu'elle souhaitait avoir un enfant, ses parents ont été choqués. Ils ne la considéraient pas capable de devenir mère. Après avoir fait pression sur elle pour qu'elle mette fin à sa relation avec son petit ami, ils ont décidé de briser son rêve. Conseillés par leur médecin de famille, ils ont décidé de faire stériliser la jeune femme. À l'époque, personne ne lui a expliqué l'opération, ni ses conséquences. Sa mère a menacé de l'empêcher de revoir Antonio et de la placer dans une institution si elle refusait d'aller à l'hôpital.
Jusqu'à il y a trois ans, la stérilisation forcée des personnes handicapées était légale en Espagne, si bien que les parents de Rosario n'ont pas eu besoin d'une autorisation de la justice pour entamer la procédure.
Une pratique interdite dans seulement neuf pays
Néanmoins, cette pratique reste légale dans une grande partie de l'Union européenne, bien qu'elle soit contraire à la Convention d'Istanbul et à la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées.
Seuls neuf Etats membres l'interdisent, la Suède ayant été la première à le faire et l'Espagne la dernière en 2020.
Mais dans des pays comme la France, elle est encore possible à la suite d'une évolution législative de 2001 qui a permis d'autoriser la stérilisation des femmes handicapées dans des conditions encadrées.
Le Portugal, la Hongrie et la République tchèque, de leur côté, sont les trois seuls États membres qui autorisent la stérilisation des mineurs.
"Je me sens vide tous les jours de ma vie"
Au lendemain de l'opération, Rosario a découvert la cicatrice sur son corps et compris ce qui s'était passée. "Je me suis demandée : Qu'ont-ils fait de ma vie ? Suis-je inutile ? Est-ce que tout le monde peut être mère sauf moi ? Depuis, je me sens vide tous les jours de ma vie," confie-t-elle à Euronews.
Le "peu d'affection" qu'elle avait pour ses parents est mort après sa stérilisation, dit-elle.
"Je n'ai pas de conversation comme une fille avec son père, je ne fais plus confiance et je ne veux plus faire confiance," ajoute-t-elle.
Le Parlement européen débat de son interdiction
En l'absence de législation commune au sein de l'UE, la décision d'interdire la stérilisation forcée des personnes handicapées est laissée à l'appréciation de chaque État membre.
"C'est une forme très cruelle de domination, à la fois de la sexualité et de la reproduction," déclare l'eurodéputée María Eugenia Rodríguez Palop, à Euronews.
La clé pour y mettre fin se trouve à Bruxelles. En juillet 2023, le Parlement européen débattra de l'opportunité d'interdire cette pratique, une décision qui serait contraignante pour tous les États membres, mais qui doit être approuvée ultérieurement par le Conseil européen.