Les Européens se tournent à contrecœur vers la climatisation en raison de la canicule

Des unités extérieures de climatisation sont visibles sur le mur d'un bâtiment à Rome.
Des unités extérieures de climatisation sont visibles sur le mur d'un bâtiment à Rome. Tous droits réservés AP Photo/Andrew Medichini
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Par Euronews Green, adaptation Marie Jamet avec APTN
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Cet article a été initialement publié en anglais

Alors que l'été s'étire doucement vers sa fin, les Européens en proie à la chaleur accueillent les climatiseurs avec scepticisme.

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Lors de la vague de chaleur qui a frappé l'Europe le mois dernier, le magasin de vêtements vintage de Floriana Peroni a dû fermer ses portes pendant une semaine.

Devant sa porte, un camion de générateurs loués bloquait l'accès. Ils alimentaient en électricité le quartier central de Rome, frappé par une panne d'électricité en raison de la hausse des températures. Principal responsable : la climatisation.

Cette période, au cours de laquelle les températures ont atteint 40°C, a coïncidé avec un pic de consommation d'électricité qui a frôlé le record historique de l'Italie, avec une charge de pointe de plus de 59 gigawatts le 19 juillet. Ce chiffre se rapproche du record établi en juillet 2015.

La consommation intensive d'électricité a mis le réseau à mal non seulement près du quartier central de Campo de Fiori, où se trouve le magasin de Floriana Peroni, mais aussi ailleurs dans la capitale italienne.

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Floriana Peroni, ici dans sa friperie au centre de Rome, a dû fermer boutique pendant une semaine car un camion contenant des générateurs bloquait son pas de porteAP Photo/Andrew Medichini

La demande en électricité au cours de cette deuxième semaine de juillet a augmenté de 30 %, en raison d'une vague de chaleur qui durait déjà depuis plusieurs semaines, selon la compagnie d'électricité de la capitale, l'ARETI.

Comme beaucoup de Romains, Mme Peroni n'a pas de climatisation, ni chez elle ni dans son magasin. Rome pouvait autrefois compter sur une brise méditerranéenne pour faire baisser les températures nocturnes, mais ce n'est plus qu'un soulagement intermittent dans le meilleur des cas.

"Tout au plus, nous allumons des ventilateurs", a déclaré Mme Peroni. "Nous pensons que c'est suffisant. Nous tolérons la chaleur, comme nous l'avons toujours fait".

En Europe, cependant, les choses commencent à changer.

Comment les Européens combattent-ils la chaleur ?

Malgré la résistance de Floriana Peroni, la hausse des températures mondiales fait passer la climatisation du statut de produit de luxe à celui de produit de première nécessité dans de nombreuses régions d'Europe. Le continent entretient depuis longtemps une relation conflictuelle avec les systèmes de refroidissement énergivores, considérés par beaucoup comme une lubie américaine.

Les Européens regardent avec dédain les bâtiments états-uniens sur-refroidis, maintenus à des températures proches de celles d'une chambre froide, où un souffle d'air réfrigéré peut traverser les trottoirs de la ville lorsque les gens vont et viennent, et où les rendez-vous prolongés à l'intérieur nécessitent un pull même au plus fort de l'été.

En Europe, les organisateurs d'événements proposent plutôt des éventails si l'on s'attend à une température élevée. Les clients peuvent s'attendre à transpirer dans des épiceries sous-réfrigérés, et les salles de cinéma ne sont pas systématiquement climatisées. Au restaurant, les clients optent généralement pour des tables extérieures afin d'éviter les salles étouffantes, qui offrent rarement la climatisation.

Pour faire face à la chaleur, l'Italie et l'Espagne ferment généralement leurs portes pendant plusieurs heures après le déjeuner, le temps d'une sieste. En outre, la plupart des gens partent en congés au mois d'août, lorsque de nombreuses entreprises ferment complètement pour permettre aux familles de profiter de vacances à la mer ou à la montagne.

Les Italiens en particulier sont heureux d'abandonner aux visiteurs étrangers les villes touristiques surchauffées, ce qui réduit l'urgence d'un investissement dans un système de climatisation domestique.

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Un ventilateur diffuse une brume d'eau sur les clients en terrasse d'un restaurantAP Photo/Andrew Medichini

Pourquoi la climatisation n'est-elle pas populaire en Europe ?

Selon l'Agence internationale de l'énergie (IEA), le taux de pénétration de la climatisation en Europe est passé de 10 % en 2000 à 19 % l'année dernière. Ce chiffre est encore bien inférieur à celui des États-Unis, qui avoisine les 90 %.

De nombreux Européens s'opposent à l'air conditionné en raison du coût, de l'impact sur l'environnement et même des soupçons d'effets néfastes des courants d'air froid sur la santé : rhumes, torticolis, voire pire.

Les systèmes de refroidissement restent rares dans les pays nordiques ; même en Allemagne, où les températures peuvent dépasser les 30 °C pendant de longues périodes.

Mais même ces climats tempérés pourraient franchir le seuil de l'inconfort si les températures augmentent de plus de 1,5 à 2 °C, selon une nouvelle étude de l'université de Cambridge.

Dans ce scénario, les habitants des pays nordiques comme la Grande-Bretagne, la Norvège, la Finlande et la Suisse (lien en anglais) seront confrontés à la plus forte augmentation relative des journées de chaleur inconfortable.

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Nicole Miranda, l'une des autrices de l'étude, a déclaré que leurs estimations, qui permettraient de dépasser l'objectif international consistant à limiter le réchauffement futur à 1,5 °C par rapport à l'ère préindustrielle, sont prudentes.

"Elles ne tiennent pas compte de l'effet d'îlot urbain, lorsque les villes sont incapables de se refroidir la nuit et que les surfaces se transforment en radiateurs."

"D'un point de vue scientifique, si nous nous tournons tous vers la solution idéale, à savoir la climatisation, nous allons nous heurter à un autre type de problème, car la consommation d'énergie et les émissions de carbone liées à la climatisation sont élevées.
Les villes devraient envisager des solutions moins intensives, telles que l'ombrage des bâtiments et l'intégration de plans d'eau rafraîchissants, a-t-elle déclaré.

Elle a également préconisé une tendance à refroidir les individus plutôt que les espaces, en utilisant des dispositifs personnels tels que des packs de glace dans les vestes ou des textiles de haute technologie qui dissipent la chaleur corporelle plus efficacement.

La demande de climatisation augmente en Europe

En Italie, les ventes de climatiseurs sont passées de 865 000 unités par an en 2012 à 1,92 million en 2022, selon l'association industrielle Assoclima. Il s'agit principalement d'appareils à usage professionnel et non résidentiel, dont la croissance a été observée au cours du premier trimestre de cette année.

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La plupart sont des systèmes de pompes à chaleur split, qui peuvent chauffer des espaces en hiver, ce qui, selon Assoclima, peut réduire la consommation de gaz alors que les prix montent en flèche pendant la guerre en Ukraine. Ce double usage attire les consommateurs.

La France, dont la population est légèrement plus importante, fait preuve d'une plus grande résistance, avec 1 million d'unités vendues par an. La climatisation était rare en France jusqu'à la canicule de 2003, qui a fait des milliers de victimes, principalement parmi les personnes âgées.

Pourtant, la plupart des maisons et appartements privés ne sont pas climatisés, de même que de nombreux restaurants et autres commerces. Les entreprises équipées de la climatisation font souvent de la publicité pour attirer les clients les jours de canicule.

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Un homme regarde des climatiseurs dans un magasin à RomeAP Photo/Andrew Medichini

L'aversion pour la climatisation persiste, à la fois chez les conservateurs français qui la considèrent comme une importation américaine superflue et chez les Français de gauche qui la jugent irresponsable sur le plan environnemental.

Cécile de Munck et Aude Lemonsu, météorologues au service national de météorologie, ont averti cet été que si le nombre de climatiseurs doublait à Paris d'ici 2030, la température de la ville augmenterait de 2 °C en raison de la chaleur dégagée par les systèmes de pompage.

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Malgré les inquiétudes liées aux coûts de l'énergie, la climatisation conquiert rapidement les foyers espagnols, un pays qui, traditionnellement, se contente d'utiliser des ventilateurs et de tirer de lourds stores, une pratique très espagnole.

Une étude de l'université Ca' Foscari prévoit que la moitié des ménages espagnols disposeront d'un système de climatisation d'ici 2040, contre seulement 5 % en 1990.

Le bruit, le coût et le gaspillage d'énergie rebutent les gens

La fraîcheur de l'air intérieur s'accompagne de conflits entre voisins qui se plaignent du bruit des appareils extérieurs. Cela pose des problèmes aux gestionnaires immobiliers espagnols.

"Certaines personnes ne peuvent pas ouvrir leurs fenêtres parce qu'elles reçoivent alors une bouffée de chaleur", a déclaré Pablo Abascal, président du conseil des gestionnaires immobiliers d'Espagne. "Avec l'augmentation du nombre de systèmes de climatisation dans les maisons, de nombreux immeubles n'auront bientôt plus d'endroit où placer ces appareils."

Selon une étude de l'université d'Ottawa, au Canada, la climatisation et le rafraîchissement se sont avérés essentiels pour les personnes âgées en cas de chaleur extrême, réduisant les tensions sur les fonctions cardiovasculaires lors d'une vague de chaleur de 37°C.

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Mais même dans des pays comme Chypre, où les vagues de chaleur de 40°C sont devenues la norme, l'utilisation soutenue de la climatisation n'est pas une option abordable pour de nombreuses personnes âgées vivant avec des revenus fixes.

Nombreux sont ceux qui, sur cette île méditerranéenne, limitent l'utilisation de la climatisation aux heures les plus chaudes de la journée, se confinant parfois dans une seule pièce.

La crainte qui prévaut est que le fait de s'abstenir d'utiliser la climatisation pourrait entraîner des coups de chaleur.
Demos Antoniou
Directeur de l'observatoire chypriote du troisième âge

"Il ne fait aucun doute que ce scénario a un impact significatif sur leur bien-être mental", a déclaré Demos Antoniou, directeur de l'Observatoire chypriote du troisième âge, un groupe de défense des droits des personnes âgées. "La crainte qui prévaut est que le fait de s'abstenir d'utiliser la climatisation pourrait entraîner des coups de chaleur."

À 83 ans, Angeliki Vassiliou pense à la fois à sa facture d'énergie et aux générations futures avant d'appuyer sur le bouton 'on'. "Le gaspillage d'énergie n'a pas de sens. Le gaspillage est injuste", estime-t-il. "Le gaspillage de n'importe quelle ressource est une erreur, car qu'arriverait-il à notre planète à cause de tous ces déchets ?"

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