Tensions internationales : les bunkers de luxe ont le vent en poupe

Maquette d'un salon dans l'un des bunkers de luxe d'Oppidum.
Maquette d'un salon dans l'un des bunkers de luxe d'Oppidum. Tous droits réservés Oppidum
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Par Anna DesmaraisEuronews
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Cet article a été initialement publié en anglais

L'angoisse existentielle liée à la menace d'un conflit mondial dope le marché des bunkers de luxe. Une coupe de champagne pour fêter l'apocalypse ?

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Un bunker de luxe est-il un bon investissement ? Les ultrariches semblent le penser à condition de débourser au moins 7 millions d'euros.

Sur ce créneau, la société Oppidum Bunkers basée en Suisse, affirme que les demandes de renseignements sur ses produits ont connu une "augmentation constante" au cours des derniers mois alors que les tensions internationales font craindre le pire au plus pessimistes.

Comparé aux aficionados des années 50-60 qui cherchaient des bunkers pratiques et efficaces, les clients actuels s'inspireraient davantage de la culture pop, après avoir vu des photos du bunker hawaïen de Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, ou après regardé le récent film de Netflix Leave the World Behind (Le Monde après nous).

Les clients d'Oppidum peuvent choisir parmi différents designs de "luxe minimaliste" pour leurs bunkers ou créer leurs propres bunkers. Dans chaque espace, on peut trouver un mélange de quartiers d'habitation, de salles de sport, de piscines, de bibliothèques et même des galeries d'art.

Le bunker le plus abordable de la société, qui coûte 7,5 millions d'euros, est un loft de 290 mètres carrés avec deux chambres et trois salles de bain, caché six pieds sous terre.

L'objectif de la société est de créer un "sanctuaire sur mesure" pour ses clients.

"Nos clients peuvent se prémunir contre les risques et assurer la tranquillité d'esprit de leur famille sans compromettre leur mode de vie", explique Tom Grmela, responsable de la communication d'Oppidum Bunkers.

Mais quid des moins fortunés ? Le nouveau directeur de l'Association des villes et communes d'Allemagne s'en inquiète. André Berghegger a déclaré au conglomérat médiatique Funke qu'il était "urgent" de remettre en état les 600 bunkers allemands datant de la guerre froide dans le sillage d'un conflit géopolitique plus large.

Il a notamment indiqué que le niveau de menace avait été influencé par la guerre menée par la Russie en Ukraine. En mars, le président russe Vladimir Poutine a également averti qu'un conflit direct entre son pays et l'OTAN n'était qu'à un pas de la Troisième Guerre mondiale.

Alors, comment se préparer à un débordement géopolitique majeur ? Les experts européens estiment qu'il existe de meilleurs moyens que la construction d'un bunker, luxueux ou non.

L'angoisse existentielle à l'aube d'une nouvelle ère nucléaire

Rafael Loss, membre du Conseil européen des relations étrangères, a déclaré à Euronews que cette augmentation de la demande de bunkers lui rappelait les premiers jours de la guerre froide.

"Les premières années de l'ère nucléaire ont suscité beaucoup d'imagination chez de nombreuses personnes", a déclaré Rafael Loss, en mentionnant la campagne "duck and cover" qui enseignait aux enfants dans les écoles comment survivre à une explosion nucléaire.

De nombreux pays européens ont réagi à la guerre froide en construisant des bunkers.

Rien qu'en Suisse, on compte près de neuf millions de places dans les quelque 365 000 abris privés et publics qui ont été construits depuis l'époque de la guerre froide, dans les années 1960.

La guerre froide, qui a duré à peu près des années 1950 au début des années 1990, était centrée sur la bombe atomique et la dissuasion éventuelle de son utilisation comme arme de guerre, rappelle R. Loss.

"Mais aujourd'hui, nous entrons dans une nouvelle "ère nucléaire", qui est très différente parce qu'il y a plus d'"États nucléaires", avec les États-Unis, la Chine et la Russie "qui dominent la hiérarchie nucléaire et quelques autres pays avec un "nombre indéterminé de moyens de dissuasion".

Dans ce contexte, l'expert mentionne une autre raison au fait que les gens s'intéressent de nouveau aux bunkers.

Depuis les années 2020, les gens seraient désormais habitués à rester chez eux face à ce que l'on appelle les "menaces invisibles" pour leur santé et leur sécurité, d'abord avec la pandémie COVID-19 et maintenant avec le contexte géopolitique actuel.

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"Je pense que les retombées radioactives ne sont pas très différentes du virus [COVID-19] en ce sens qu'elles sont invisibles et qu'elles ont de graves répercussions sur la santé... et qu'une sorte de mentalité de préparation au bunker émerge d'une telle situation", détaille le spécialiste.

Ainsi, même si, selon lui, le risque d'un conflit nucléaire est faible, "l'angoisse existentielle" que ressentent les gens pourrait les pousser à se replier complètement.

C'est cette mentalité qui serait au premier plan dans l'esprit des clients d'Oppidum. La structure principale des bunkers est faite de béton conçu pour résister "aux charges statiques et dynamiques, aux ondes de souffle ou de choc, à la sismicité et à d'autres facteurs", indique le site web.

Ces conditions anti-souffle seraient même conformes aux normes de l'OTAN pour ce type d'abris.

Le régime russe ne s'arrêtera pas à l'Ukraine

Mais le meilleur moyen d'éviter un conflit géopolitique majeur ne serait pas de faire construire un bunker, mais d'exiger de nos représentants qu'ils financent l'effort de guerre ukrainien, selon Ian Bond, directeur adjoint du Centre for European Reform.

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La construction d'un bunker n'empêche pas les effets de la guerre, ce qui les empêche, c'est de ne pas avoir de guerre.
Ian Bond
Directeur adjoint du Centre for European Reform

Le chercheur estime que les hommes politiques "finiront par remarquer" que le public soutient davantage la guerre et qu'ils feront quelque chose à ce sujet s'ils sont soumis à une pression suffisamment longue et exercée par un nombre suffisant de personnes.

"Si nous ne le faisons pas, les bunkers deviendront plus utiles et se rapprocheront des lignes de front", déclare Ian Bond, ajoutant que "la construction d'un bunker n'empêche pas les effets de la guerre, ce qui les empêche, c'est de ne pas avoir de guerre".

Pour lui, il existe d'ailleurs un scénario selon lequel si la ligne de défense ukrainienne tombe et que la Russie entre dans Kyiv, il n'y aura plus grand-chose pour l'empêcher de s'étendre ailleurs.

"Poutine considère la faiblesse de l'Occident (les États-Unis et l'Europe) comme une raison de continuer à avancer", a déclaré M. Bond.

"L'ambition du régime russe ne s'arrête pas à l'Ukraine, la meilleure façon de procéder est donc de le vaincre là où il se trouve".

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Ian Bond souligne les menaces de la Russie à l'égard de la Pologne et de la Lettonie en particulier, qui pourraient indiquer que les motivations de Poutine pourraient s'étendre au-delà de l'Ukraine.

Lors d'une interview accordée en février à l'animateur de télévision américain Tucker Carlson, le président russe a déclaré que la Russie ne souhaitait pas envahir la Pologne ou la Lettonie et a qualifié d'"alarmisme" toute mention d'une telle invasion.

Pourtant, ces deux pays, ainsi que les pays baltes d'Estonie, de Lettonie et de Lituanie, ont demandé à leurs alliés de se "réveiller" et d'apporter un soutien accru à l'OTAN.

Le sabre nucléaire s'agite

Malgré toute cette angoisse, M. Bond et M. Loss s'accordent à dire qu'il ne s'agit peut-être pas d'un conflit plus large, mais plutôt d'un "coup de sabre nucléaire" de la part du chef du Kremlin pour dissuader l'Europe d'investir dans la défense de l'Ukraine.

Et dans une certaine mesure, M. Bond estime que les tentatives de Vladimir Poutine portent leurs fruits.

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En décembre, la Commission européenne a fait passer un projet de loi d'aide de l'UE de 50 milliards d'euros après un premier veto de la Hongrie et, il y a tout juste deux semaines, le Conseil européen a accordé à l'Ukraine une aide supplémentaire de 5 milliards d'euros au titre de la facilité européenne de soutien à la paix pour l'effort de guerre.

Les médias suggèrent qu'il y a maintenant un désaccord sur ce qu'il faut faire des 4,4 milliards d'euros supplémentaires d'actifs russes gelés qui pourraient également être envoyés à l'Ukraine.

En fin de compte, nos deux experts affirment qu'un conflit avec l'OTAN n'est pas nécessairement dans l'intérêt de Vladimir Poutine.

"Je ne pense pas que quiconque impliqué dans ce conflit ait intérêt à une escalade à ce niveau", conclut Rafael Loss, en faisant référence à l'utilisation d'armes nucléaires.

Toutefois, si les responsables politiques européens n'exercent aucune dissuasion à l'égard d'un futur conflit entre la Russie et l'OTAN, Ian Bond estime qu'un bunker pourrait finalement s'avérer un bon investissement.

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