Volodymyr Zelensky : comment le président ukrainien est devenu un cauchemar pour le pouvoir russe

Le président Volodymyr Zelensky observe une position de première ligne depuis un abri lors d'une visite dans l'est de l'Ukraine.en 2019
Le président Volodymyr Zelensky observe une position de première ligne depuis un abri lors d'une visite dans l'est de l'Ukraine.en 2019 Tous droits réservés Service de presse de la présidence ukrainienne / via AP Photo
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Par Aleksandar Brezar
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Volodymyr Zelensk, le président ukrainien, n'était pas attendu là où s'est hissé. Euronews vous explique comment en dressant son portrait.

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Il était un comédien multimillionnaire, la voix ukrainienne de l'ours Paddington et a gagné 'Danse avec les stars'. Puis, après le succès de sa série télévisée, "Sluga narodu" soit "Serviteur du peuple", sur un modeste professeur d'histoire idéaliste et érudit qui devient accidentellement président de l'Ukraine, il a fondé son propre parti et a été élu président dans la vraie vie. Aujourd'hui, il est à la tête d'un pays envahi par la deuxième armée la plus puissante du monde.

Ceux surpris de la façon dont Volodymyr Zelensky dirige le pays face à l'invasion russe oublient que l'Ukraine était déjà en guerre depuis plusieurs années lors de sa prise de fonction après sa surprenante et écrasante victoire en 2019. Il s'est engagé, comme de nombreux autres politiciens ukrainiens, à y mettre un terme."Il a essayé de tout faire pour obtenir la paix", avance à Euronews Iuliia Mendel, journaliste et ancienne porte-parole de Volodymyr Zelensky, ajoutant "Il a promis de terminer la guerre rapidement".

Les négociations avec la Russie sur les territoires sécessionnistes soutenus par le Kremlin dans le Donbass avaient abouti à des accords de cessez-le-feu. Dans le cadre de ces accords signés avant son investiture, Volodymyr Zelensky était parvenu à faire rapatrier environ 150 prisonniers de guerre.

Puis, le président russe Vladimir Poutine est devenu petit à petit de plus en plus irrité par son homologue ukrainien. Selon Iuliia Mendel, le président Vladimir Poutine s'est probablement également inquiété de la popularité croissante de Volodymyr Zelensky en Russie. Après avoir acheté l'intégralité de la série "Sluga narodu" en 2019, la chaîne russe TNT n'a finalement diffusé qu'un seul épisode avant de retirer l'émission de l'antenne, affirmant qu'elle ne l'avait diffusée que pour des raisons marketing.

Emilio Morenatti/AP Photo
L'humoriste et candidat à la présidence ukrainienne Volodymyr Zelensky se produit lors d'un spectacle à Brovary, près de Kyiv, en 2019Emilio Morenatti/AP Photo

Dans le même temps, Volodymyr Zelensky est, lui, devenu au fil des mois de plus en plus mécontent de l'interprétation faite par le pouvoir russe des accords de Minsk. Ils avaient été signés en 2014 puis 2015 (accords dit de Minsk II) pour établir un cessez-le-feu entre les deux parties et définir la relation entre le gouvernement de Kyiv et les territoires occupés à Donetsk et Luhansk.

Dans une interview accordée au Financial Times en avril 2021, le président ukrainien critique ouvertement ces accords de paix, négociés par l'Occident et affirme alors qu'il ne parlera pas aux séparatistes du Donbass, les qualifiant de "terroristes" – un ton considérablement plus dur que celui qu'il avait employé plus tôt dans sa présidence.

C'est à peu près à la même époque, le printemps 2021, que Vladimir Poutine fait installer environ 100 000 soldats à la frontière de l'Ukraine. Il les a ensuite retirés pour les faire revenir à l'hiver.

Volodymyr Zelensky "a, en fait, déclaré publiquement que les accords de Minsk n'avaient pas fonctionné. Après cela, leur [les Russes] rhétorique a beaucoup changé et ils ont refusé tout pourparler ; ils ont complètement bloqué le dialogue", analyse Iuliia Mendel. "Et bien que la position de Volodymyr Zelensky n'ait pas changé, il a durci sa rhétorique".

Cette ancienne porte-parole du président ukrainien juge par contre, les affirmations de Vladimir Poutine selon lesquelles le pays serait dirigé par des "nazis et des toxicomanes" scandaleuses. Selon elle, M. Zelensky tout particulièrement est loin d'être un nationaliste pur et dur : "Volodymyr Zelensky a toujours dit que les Ukrainiens sont tous différents – nous avons différentes religions, nous parlons différentes langues – mais unis en tant que nation. Il a toujours été fier de la diversité qui existe en Ukraine, une diversité qui doit nous rendre plus forts, et non plus faibles."

Comment Zelensky s'est hissé là où il n'était pas attendu

Tout comme le nom de famille de son personnage dans le "Serviteur du peuple", Goloborodko – qui signifie 'imberbe', mais aussi 'pauvre' ou 'mouillé derrière les oreilles' – beaucoup ont interprété le look jeune et rasé de près du président Zelensky pour un signe d'ingénuité.

Certains l'ont même accusé de travailler pour le Kremlin, notamment son principal adversaire aux élections de 2019, l'ancien président Petro Porochenko. M. Zelensky est, en effet, originaire de la région de Kryvyi Rih, essentiellement russophone.

"Il y a eu beaucoup d'attaques organisées de l'opposition à son encontre lorsqu'il est arrivé au pouvoir, affirmant qu'il était russophone et qu'il allait mener l'Ukraine à la Russie", explique Iuliia Mendel. "Mais cela ne s'est jamais vérifié. J'étais avec lui au tout début de sa présidence, et il a toujours été dévoué à l'Ukraine."

Non crédité / Service de presse de la présidence ukrainienne
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et son épouse Olena visitent un monument aux victimes de l'Holodomor lors d'une cérémonie de commémoration à Kyiv en 2021Non crédité / Service de presse de la présidence ukrainienne

Après l'annonce par les services de renseignement américains d'une attaque imminente de la Russie contre l'Ukraine au début du mois de février de cette année, beaucoup ont été décontenancés par ses appels constants au calme et ses déclarations selon lesquelles il n'y avait "pas lieu de paniquer". Certains de ses détracteurs l'ont accusé d'être "d'une médiocrité décourageante", comme l'affirmait un éditorial du New York Times, la veille même de l'invasion.

Mais en pleine guerre, Volodymyr Zelensky s'est révélé beaucoup plus habile que ne le pouvaient le laisser penser les critiques. Désormais affublé d'une barbe de trois jours et d'un treillis militaire, le président ukrainien est parvenu à galvaniser son armée et ses citoyens. Il s'est mis en scène dans des vidéos en plein centre-ville de Kyiv alors même qu'il avait été nommé "cible numéro un" par la Russie. Il a aussi rejeté à plusieurs reprises les offres occidentales de quitter le pays : "Je suis ici. Nous sommes tous ici. Nous sommes à Kyiv. Nous défendons l'Ukraine", a-t-il ainsi déclaré dans une vidéo filmée sur son téléphone le vendredi 25 février au soir, alors que des sirènes de raid aérien envahissaient les rues de la capitale au lendemain de la première attaque russe en territoire ukrainien.

En raison de son style décontracté et de son usage d'un langage parfois peu diplomatique, voire même sarcastique, les gens se demandent constamment s'il est sérieux ou s'il joue la comédie, explique à Euronews Daniel Bilak, avocat canadien et ancien conseiller de deux premiers ministres ukrainiens. Mais la façon dont Volodymyr Zelensky a réagi à la guerre l'a "presque complètement réhabilité aux yeux de tous les sceptiques en l'espace de quelques jours", ajoute-t-il. "Ce n'est pas de la comédie. Les gens ressentent la passion. Les gens ressentent la douleur parce que nous la vivons tous les jours".

Ce qui a également aidé l'Ukraine à résister à l'agression russe, c'est que M. Zelensky a changé l'état-major des forces armées en août dernier, estime Daniel Bilak : "Il a mis en place les personnes qui devaient être là. Il s'agissait de commandants de terrain qui avaient de l'expérience à l'Est. Aucun d'entre eux n'avait servi dans l'armée soviétique, ce qui était nouveau".

Bien que ces nouveaux chefs militaires n'aient eu que quelques mois pour se préparer, les appels au calme de Volodymyr Zelensky ont montré que le gouvernement était conscient de ce qui allait se passer. Et cela a fonctionné, selon Daniel Bilak : "Les Ukrainiens n'ont pas paniqué, ils n'ont pas perdu leur sang-froid, et c'est vraiment crucial, car il s'agit essentiellement d'une guerre psychologique d'usure. C'est à qui craquera le premier".

Un chemin vers l'UE forgé dans la guerre

Depuis l'invasion, les appels à l'aide de l'OTAN et de l'UE répétés de M. Zelensky ces dernières années ont abouti à la décision de l'UE d'acheter et d'envoyer des armes à l'Ukraine, pour la première fois de son histoire, et à sanctionner la Russie et ses dirigeants de façon à la paralyser.

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L'UE a aussi, depuis, officiellement reconnu que l'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne devait se faire. Mais la résolution prise par les eurodéputés est non contraignante et le chemin jusqu'à l'adhésion sera encore long.

Daniel Bilak estime que "C'est un pays démocratique qui mérite d'être défendu", ajoutant "l'Ukraine est une démocratie désordonnée, dynamique et émergente. Ce pays peut donner à la plupart des nations européennes des leçons de gouvernement démocratique." Selon lui le pays a fait des progrès considérables depuis qu'il a déclaré son indépendance de l'Union soviétique en 1991.

Aujourd'hui, Volodymyr Zelensky pourrait bien se retrouver dans un autre rôle, celui du dirigeant qui a finalement négocié un accord, même si cela s'est fait en forçant la main de l'UE dans des circonstances tragiques : la demande d'adhésion a été signée par le Premier ministre et le président du Parlement alors que Kyiv subissait des bombardements intenses.

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Le Président Volodymyr Zelenskyy lors d'une conférence de presse devant le plus grand avion du monde, le Mriya en 2021Efrem Lukatsky/AP photo

Anthony Zacharzewski, fondateur de Democratic Society, une ONG basée à Bruxelles confirme que la route jusqu'à une adhésion sera longue, et ce même si l'UE a agi beaucoup plus rapidement et collectivement qu'attendu. "Au mieux, l'UE donnera le coup d'envoi d'un marathon d'adhésion", a-t-il expliqué à Euronews. "Les traités ne prévoient pas d'accélérer l'entrée – peut-être qu'avec la bonne volonté des deux parties, cela pourrait se faire en cinq ans, mais tout le monde pense qu'il faut une révision générale des traités et cela pourrait prendre encore plus de temps."

M. Zacharzewski imagine toutefois qu'il pourrait exister une alternative. "L'une des approches possibles serait que l'UE crée un nouveau modèle d'accord d'adhésion accordant le statut de 'salle d'attente' sans droit de vote aux pays qui répondent aux critères de démocratie et d'État de droit et qui s'engagent fermement à adhérer."

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Dans tous les cas, la guerre déterminera non seulement l'avenir de l'Ukraine, mais aussi celui de la Russie, car Volodymyr Zelensky est parvenu à faire avancer sa légitimité, alors que Vladimir Poutine est désormais devenu un paria dans la majorité du globe.

"Si Volodymyr Zelenskyy survit, il disposera d'une immense autorité dans son pays et en Europe. Il sera difficile de résister aux appels à faire rapidement de l'Ukraine un pays candidat, s'il gère le temps de paix aussi bien que la guerre", estime ainsi M. Zacharzewski.

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